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LOCALISER ET IDENTIFIER UNE MOLÉCULE

 

 

 

 

 

 

 

LOCALISER ET IDENTIFIER UNE MOLÉCULE


Au début du siècle, la caractérisation des molécules consistait essentiellement en tests chimiques donnant naissance à des précipités, des couleurs, voire des odeurs. Ces techniques ont été supplantées par des méthodes physiques, dans lesquelles les molécules, soumises à certaines stimulations fournissent, sous forme de diagramme, une réponse ou spectre. Plusieurs méthodes spectroscopiques étudient l'interaction avec la matière des ondes électromagnétiques dans divers domaines de longueur d'onde. Le domaine de l'infrarouge (IR) permet de reconnaître la présence de certaines liaisons ou groupements d'atomes et fournit une " empreinte digitale " caractéristique. Dans le domaine des ondes radio, la résonance magnétique nucléaire (RMN) s'applique en premier lieu au carbone et à l'hydrogène mais également à de nombreux autres éléments. Cette méthode a connu depuis 1960 d'extraordinaires développements. L'un des plus récents, la RMN à deux dimensions, met en évidence des connexions entre atomes d'où une véritable cartographie moléculaire. Dans le domaine de la lumière visible ou ultaviolette, les renseignements obtenus sont d'une moindre richesse, mais cette spectroscopie, avec d'ailleurs l'IR, permet l'étude de molécules hors de notre atteinte comme celles des atmosphères planétaires ou de l'espace interstellaire. Enfin la spectrométrie de masse (SM) étudie les fragmentations des molécules sous l'effet, par exemple, d'un bombardement d'électrons. Des masses de ces fragments on peut déduire leur formule chimique qui permet de reconstituer la molécule originelle. Par ailleurs, ces spectres fournissent une signature qui, traitée numériquement, permet une identification automatique si la molécule a déjà été répertoriée dans une bibliothèque. Cette technique, couplée avec une méthode de séparation telle que la chromatographie en phase gazeuse est d'une puissance inégalée pour l'analyse de mélanges complexes.

Texte de la 235e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 22 août 2000.Localiser et identifier une moléculepar Patrick Chaquin Une activité essentielle de la recherche en chimie moléculaire est de découvrir ou de synthétiser des molécules nouvelles, qui pourront se retrouver dans des médicaments, des aliments, des cosmétiques, etc. Il est donc non moins essentiel de les identifier et de les décrire avec le plus de précision possible. Par ailleurs, notre désir de savoir nous pousse à connaître les molécules qui nous entourent, de notre environnement le plus immédiat aux confins de l'univers. Enfin nous avons besoin de détecter et d'identifier des poisons, des drogues, des dopants, etc. Le problème de la localisation ne se pose guère lorsque l'expérimentateur dispose de l'échantillon à étudier. Mais il est aussi possible de déceler la présence de molécules dans des endroits inaccessibles, comme les atmosphères planétaires ou l'espace interstellaire. Identifier une molécule nécessite la connaissance de la nature et du nombre des atomes qui la constituent, sa formule brute. Ceci peut suffire dans le cas de petites molécules : seule l'ozone a pour formule brute O3. En revanche plusieurs dizaines de molécules répondent à la formule brute C4H8O2. Cependant la donnée de l'enchaînement des atomes, la formule semi-développée CH3-(CO)-O-CH2CH3 définit sans ambiguïté l'acétate d'éthyle, solvant qui donne son odeur caractéristique au dissolvant de vernis à ongles. Mais il existe des molécules différentes ayant la même formule semi-développée, ainsi la (–) carvone (arôme de menthe verte) et la (+) carvone (odeur de cumin) qui sont, comme nos deux mains, l'image l'une de l'autre dans un miroir. L'identification nécessite alors la connaissance de la position relative des atomes dans l'espace, ou stéréochimie de la molécule. Lorsqu'on est en présence d'un composé inconnu, on peut tout d'abord se demander s’il n'a pas été déjà rencontré et décrit. On cherchera dans la littérature ou dans des banques de données s'il y figure une molécule possédant les mêmes caractéristiques. Cette démarche s'apparente à celle de l'enquêteur qui recherche dans un fichier de police des empreintes identiques à celles qui ont été relevées sur le lieu d'un crime, recherche pouvant être automatisée en chimie comme en criminologie. Si cette entreprise échoue, il faudra reconstituer la structure moléculaire en assemblant, comme les pièces d'un puzzle, les indications fragmentaires fournies par diverses méthodes d'investigation. L'avènement de la Spectroscopie en Chimie Ces méthodes d'investigation ont considérablement changé depuis quelques dizaines d'années. Si on ouvre une revue de chimie du début du siècle, on y voit qu'une molécule nouvelle était essentiellement identifiée au moyen de tests chimiques, réactions au résultat visuellement perceptible, avec production de couleurs, de précipités que l'on pouvait purifier et dont on déterminait le point de fusion. Les notations de texture (liquide « mobile », « huileux ») sont fréquentes, celles d'odeurs ne sont pas rares. Le pouvoir sucrant de la saccharine fut découvert en 1879, à une époque où l'on goûtait systématiquement chaque nouveau produit. Tout ceci a disparu de la littérature contemporaine, où les molécules sont généralement caractérisées par des données numériques traduisant ce qu'on appelle des spectres. Un spectre est un graphe qui visualise la réponse d'une molécule à une excitation physique, impliquant un échange d'énergie. Les méthodes spectroscopiques que nous évoquerons ici sont la spectroscopie ultraviolet (UV)-visible ou spectroscopie électronique, la spectroscopie infrarouge (IR) ou spectroscopie de vibration, la spectroscopie micro-ondes ou spectroscopie rotationnelle puis la résonance magnétique nucléaire ( RMN). Ces méthodes ont en commun d'impliquer l'interaction de la molécule avec une onde électromagnétique. Nous présenterons enfin la enfin la spectrométrie de masse (SM). Rappelons qu'une onde électromagnétique (OEM) est constituée par la variation périodique et simultanée d'un champ électrique et d'un champ magnétique. L'une de ses caractéristique est sa longueur d'onde l ou sa fréquence n exprimée en Hertz (Hz), liées par la relation n = c/l. ( c est la vitesse de la lumière : 3.108 m/s). Chaque méthode spectroscopique est associée à un domaine de longueurs d'ondes. Le premier est constitué par la lumière visible, dont la longueur d'onde va de 400 nm (1 nm = 10–9 m) pour la lumière violette à 800 nm pour la lumière rouge, complété par le proche ultraviolet (UV) de 400 à 200 nm environ ; le second se situe dans l'infrarouge (IR) avec des longueurs d'onde de l'ordre du micron, le troisième dans les micro-ondes dont la longueur est de l'ordre du cm ; le dernier se situe dans les ondes radio de longueur de l'ordre du m, ces deux derniers domaines étant d'ordinaire plutôt caractérisés par leur fréquence en GHz (109 Hz) et MHz (106 Hz) respectivement. L'interaction d'une OEM et d'une molécule peut être étudiée grâce à son spectre d'absorption. Une source de rayonnement électromagnétique, de longueur d'onde donnée et modifiable, dirige un faisceau sur l'échantillon. Un dispositif de détection détermine, à la sortie de l'échantillon, si l'onde a été plus ou moins absorbée. Le spectre obtenu porte en ordonnée une grandeur caractéristique de l'absorption et en abscisse la longueur d'onde (ou la fréquence) de l'OEM. L'apparition d'un pic ou bande à une longueur d'onde l indique que la radiation correspondante est absorbée. L'absorption correspond au transfert à la molécule d'une certaine quantité d'énergie électromagnétique. À l'échelle moléculaire, l'énergie est quantifiée, ce qui signifie qu'elle ne peut s'échanger que par « paquets », quantités indivisibles, ou quanta DE = hn où h est la constante de Planck. Spectroscopie UV-Visible ou spectroscopie électronique La Fig. 1 montre la principale zone d'absorption de l'ozone dans le domaine UV-visible. On voit que les UV sont fortement absorbés, d'où le rôle protecteur de la « couche d'ozone » de la haute atmosphère. Le quantum d'énergie absorbé sert ici à augmenter l'énergie d'un électron de la molécule qui passe d'un niveau où il occupait une certaine localisation spatiale (correspondant à sa fonction d'onde) à un autre niveau, de localisation différente, d'où le nom de spectroscopie électronique. L'ordre de grandeur de cette énergie est celui des liaisons chimiques ce qui explique l'effet néfaste des UV, susceptibles de dégrader les molécules biologiques. Fig. 1 Spectre d'absorption de l'ozone dans l'UV, entre 200 et 300 nm. Ces spectres UV-Visible peuvent suffire à l'identification de petites molécules comme les polluants NO2, SO2, O3 et certains hydrocarbures aromatiques. Cependant l'information qu'ils contiennent est insuffisante pour une identification complète de molécules tant soit peu complexes. Spectroscopie IR ou spectroscopie de vibration Le domaine de l'IR utilisée en Chimie correspond à des longueurs d'onde de 2 à 20 mm. Lorsque ces rayonnements sont absorbée par la molécule, ils sont convertis en énergie de vibration. Illustrons cette notion avec la molécule d'ozone. L'ozone possède des caractéristiques géométriques bien définies et qu'on peut déterminer avec beaucoup de précision : distance entre les noyaux des atomes (1,218 Å) et angle de liaison (116,8°). Mais il ne s'agit que de valeurs moyennes. Si on pouvait observer cette molécule, elle nous apparaîtrait comme animée de mouvements de déformations d'aspect chaotique, mais qui peuvent se décomposer en trois mouvements périodiques relativement simples représentés dans la Fig. 2, chacun s'effectuant à une fréquence bien définie n1, n2 et n3. La molécule peut absorber une OEM de l'une de ces fréquences n : elle reçoit l'énergie correspondante DE qui se transforme en énergie mécanique avec augmentation de l'amplitude de ce mouvement. Fig. 2 Les trois mouvements de déformation périodique de l'ozone. Une molécule comportant N atomes présente 3N – 6 modes de vibration. Il devient rapidement difficile d'associer à chaque bande la vibration correspondante, mais on peut reconnaître, même dans des molécules très complexes, des fréquences caractéristiques de couples ou de groupements d'atomes liés entre eux. Ainsi dans le spectre (Fig. 3) de l'acétate d'éthyle qui comporte 36 fréquences de vibration, la bande à 5,75 m est caractéristique de l'élongation périodique de la liaison C=O d'une fonction ester, confirmée par la bande à 8,05 m de vibration de C–O ; la bande à 7,3 m correspond à une déformation d'un groupement méthyle CH3. À 3,30 m on reconnaît les vibrations des liaisons C–H. Des renseignements négatifs importants apparaissent également, comme l'absence de fonction alcool ou acide (liaison OH) dans la région de 3 m. Fig. 3 Quatre spectres de l'acétate d'éthyle; de haut en bas : spectre IR et représentations de quelques vibrations caractéristiques (N.B. l'absorption croît ici de haut en bas) : spectre de RMN de l'hydrogène avec un appareil fonctionnant à 60 MHz ; spectre de RMN du carbone ; spectre de masse. On peut aussi tirer parti de la complexité même de ces spectres à des fins d'identification avec une molécule déjà connue. La région de 6 à 12 m en particulier constitue une véritable empreinte digitale de la molécule. Les rayonnements venus de l'espace Les fréquences caractéristiques de certaines molécules peuvent être détectées dans des régions qui nous sont inaccessibles, comme les atmosphères planétaires ou l'espace interstellaire. Il s'agit alors le plus souvent de rayonnements émis et non absorbés. En effet, le phénomène d'absorption d'une onde électromagnétique peut être réversible : si une molécule a subi une excitation préalable l'ayant portée à un niveau d'énergie supérieur, elle peut restituer cette énergie DE sous la forme d'une radiation de fréquence n telle que DE = hn. La Fig. 4 montre les radiations IR émises par l'atmosphère de la planète Titan (satellite de Saturne), enregistrées par la sonde IRIS. Il apparaît des pics caractéristiques d'un certain nombre de molécules, formées essentiellement des éléments C, H et N. L'intérêt suscité par cette planète provient du fait que son atmosphère est supposée assez semblable à celle de la terre, avant l'apparition d'oxygène sous l'effet de la fonction chlorophyllienne végétale. Fig. 4 Émission IR de l'atmosphère de Titan.(F. Raulin et coll. Adv. Space Res. 12(11) 181 (1992), reproduit avec la permission de Elsevier Science Ltd., Kidlington (GB) ; document fourni par M.-C. Gazeau et J.Bénilan) La région des micro-ondes n'est guère utilisée dans la chimie terrestre. Elle est cependant précieuse pour l'identification de molécules des espaces intersidéraux. Ce domaine est celui de l'énergie de rotation des molécules. Outre leurs déformations déjà évoquées, les molécules sont animés de mouvements de rotations que l'ont peut décomposer en trois rotations autour de trois axes. À chacune de ces rotations est associée une fréquence caractéristique de chaque molécule, et l'absorption d'une onde électromagnétique de même fréquence a pour effet d'augmenter l'énergie cinétique de rotation. Inversement, une molécule peut perdre une partie de son énergie de rotation en émettant une radiation. La Fig. 5 présente les émissions de micro-ondes, aux environs de 200 GHz, d'une région de l'espace, le nuage moléculaire d'Orion, montrant la présence de dioxyde de soufre SO2, de monoxyde de carbone CO, de méthanal CH2O, de méthanol CH3OH etc. ainsi que de nombreuses autres espèces non encore identifiées, dont certaines sont sans doute inconnues sur terre. Fig. 5 Émission de micro-ondes en provenance du nuage moléculaire d'Orion (reproduit avec la permission des auteurs, A. Blake et coll., Astrophys. J., 315, 621 (1987) et de The University of Chicago Press, document fourni par O. Parisel) La Résonance Magnétique Nucléaire La résonance magnétique nucléaire (RMN) est apparue vers 1960 dans les laboratoires de chimie et a connu depuis des progrès incessants qui en font est sans doute la méthode la plus puissante de détermination des structures moléculaires. Principe de la méthode Comme son nom l'indique, la RMN est fondée sur une propriété magnétique de certains noyaux atomiques, comme celui de l'hydrogène 1 (1H), le proton. Un tel noyau possède un spin non nul qui lui confère un moment magnétique. Cela signifie qu'il se comporte comme un minuscule aimant et présente donc certaines analogies avec l'aiguille aimantée d'une boussole. Cette aiguille, soumise à un champ magnétique, par exemple le champ magnétique terrestre, s'oriente dans la direction de ce champ. Si on l'écarte de sa position d'équilibre, elle oscille à une fréquence qui dépend à la fois de ses propriétés intrinsèques (son aimantation, sa forme, sa masse...) et de l'intensité du champ magnétique auquel elle est soumise. Il en va de même pour les moments magnétiques nucléaires qui, dans un champ magnétique B, adoptent un mouvement périodique de précession de fréquence n proportionnelle à B : n = (1/2p) g B (la constante g dépend de la nature du noyau : proton, 13C, 19F etc.). Ces moments magnétiques peuvent alors absorber une OEM de fréquence n dont l'énergie est convertie en énergie magnétique. Dans les appareils de RMN, le champ B est des centaines de milliers de fois plus intense que le champ terrestre. Les premiers appareils de routine apparus dans les années 60, utilisaient un champ d'environ 1,41 Tesla avec lequel la résonance du proton est observée à 60 MHz. Déplacement chimique et couplage spin-spin Un premier phénomène permettant d'obtenir par RMN des renseignement sur la structure moléculaire est le déplacement chimique. Quand une molécule est soumise à un champ magnétique, ses électrons réagissent en créant localement des champs magnétiques parasitaires. Si deux noyaux atomiques de cette molécule possèdent des environnements moléculaires différents, ils sont soumis à des champs parasitaires différents et ne résonnent donc pas exactement à la même fréquence ; c'est le déplacement chimique. On obtient un spectre de RMN, selon la technique par onde continue, en faisant varier progressivement la fréquence de l'onde électromagnétique et en détectant son éventuelle absorption. La variation de champ magnétique d'un point d'une molécule à l'autre est relativement faible, de l'ordre de quelques millionièmes du champ total : c'est pourquoi on l'exprime en ppm pour parties par million. La Fig. 3 montre le spectre de RMN du proton de l'acétate d'éthyle : on y observe trois signaux correspondant aux trois sites occupés par les hydrogènes, avec un déplacement chimique caractéristique de leur environnement, par exemple, un CH3 lié à un CO vers 2 ppm etc. On constate en outre que deux signaux sont formés d'un ensemble de plusieurs pics de forme caractéristique, présentant respectivement trois et quatre composantes. Ce phénomène est le couplage spin-spin et s'explique par une influence des protons du groupement voisin. Le CH3 qui est situé à côté d'un CH2 (deux voisins) donne 2 + 1 = 3 signaux. Inversement, le CH2, situé à côté du CH3 (trois voisins)donne 3 + 1 = 4 signaux. L'ensemble de ces signaux est caractéristique d'un groupement éthyle CH2CH3. On constate que l'autre CH3 qui n'a pas de protons voisins, reste sous la forme d'un pic unique. Progrès récents de la RMN La méthode s'est peu à peu perfectionnée, d'une part par la construction d'appareils à champs magnétiques de plus en plus élevés, et d'autre part par le développement des techniques par impulsions. Comme nous l'avons vu, il existe une proportionnalité entre la fréquence de résonance et le champ appliqué. On est passé progressivement d'appareils où le proton résonne à 60 MHz aux derniers appareils commercialisés fonctionnent à 800 MHz, ce qui correspond à un champ magnétique proche de 20 Tesla (un million de fois le champ terrestre). Il est difficile d'obtenir des champs magnétiques aussi intenses, qui doivent être en outre d'une grande homogénéité dans l'espace occupé par l'échantillon et d'une grande stabilité au cours du temps. Ceci nécessite l'utilisation d'électroaimants à bobines supraconductrices, à la température de l'hélium liquide, pour obtenir des courants d'intensité souhaitée. L'intérêt des appareils à champs magnétiques élevés est manifeste si on compare (Fig. 6) les spectres du menthol à 60 MHz et à 500 MHz dans la région de 1 à 2 ppm : dans le premier, les signaux se superposent pour donner un « massif » difficilement exploitable ; dans le deuxième, chaque proton est bien individualisé et on voit apparaître les motifs symétriques caractéristiques des couplages qui permettent l'attribution assez aisée de tous les signaux. Fig. 6. Spectres de RMN de l'hydrogène du menthol. En haut, enregistré par un appareil fonctionnant à 60 MHz ; en bas région, de 1 à 2 ppm enregistrée à 500 MHz (les documents des Fig. 6 à 8 ont été fournis par N. Goasdoué et J.-C. Belloeil). Un autre progrès décisif a été le développement de la RMN par impulsion. Si on remplace l'excitation par onde continue par une impulsion magnétique brève et intense, tous les moments magnétiques adoptent un mouvement oscillatoire, chacun à sa fréquence propre, qui s'amortit rapidement. Le signal complexe alors émis par l'ensemble ces moments restitue, après un décryptage informatique, les mêmes informations qu'un spectre « classique » par onde continue mais dans un temps environ 100 fois plus court. Cela a permis le développement de la RMN du carbone, qui concerne toute la Chimie Organique. Le carbone naturel est en effet constitué essentiellement de l'isotope 12, dont le noyau a un spin nul et ne donne donc pas de RMN, et ne contient que 1,1 % de carbone 13 (13C) qui possède un spin mais ne donne qu'un signal très faible. La RMN par impulsions permet l'accumulation de signaux en mémoire avant leur traitement, et donc l'obtention dans un temps raisonnable d'un spectre de 13C. Le 13C présente également le phénomène de déplacement chimique dans une gamme de l'ordre de 250 ppm. Le spectre de l'acétate d'éthyle (Fig. 3) montre l'existence de quatre carbones d'environnements chimiques différents. La RMN à deux dimensions Le couplage spin-spin permet d'établir la connexion de certains groupements ; en pratique il nous dit que deux protons couplés entre eux sont séparés par trois ou quatre liaisons chimiques au maximum. Mais il peut être malaisé, dans un spectre complexe, d'identifier quels couples de signaux sont liés par cette interaction. La RMN à deux dimensions (RMN 2D) répond entre autres à cette question. Sa technique repose sur l'utilisation de séquences d'impulsions magnétiques de durées et d'intervalles convenablement choisis, pilotées par informatique. Un spectre COSY (COrrelated SpectroscopY ou spectroscopie corrélée) relatif aux couplages entre protons est présenté Fig. 7. L'abscisse et l'ordonnée sont les fréquences du spectre classique (1D), spectre qui se retrouve sur la diagonale du carré. La présence d'un signal en dehors de cette diagonale (comme celui qui est entouré) au point de coordonnées n1 et n2 signifie que les spins résonnant à ces fréquences sont couplés (indiqué par la flèche à deux têtes). Fig. 7. Spectre COSY partiel de la molécule représentée en haut. D'autres types de connexions peuvent être établis par RMN 2D. L' effet Overhauser nucléaire est un phénomène qui dépend de la distance de deux noyaux et met en évidence leur proximité spatiale, indépendamment du nombre des liaisons chimiques les séparant. Étudié en 2D (spectres NOESY) il permet l’étude de propriétés structurales essentielle des molécules biologiques. Les molécules présentent une certaine plasticité et sont susceptibles de se déformer pour adopter certaines formes appelées conformations par des mouvements de torsion autour des liaisons simples. Les propriétés biologiques sont étroitement dépendantes de la conformation adoptée. Ainsi la maladie de la « vache folle » ne résulte que d'un changement de conformation , sous l'effet du prion, de certaines protéines, sans que leur nature chimique ait été véritablement altérée. La modélisation moléculaire sous contrainte spectroscopique consiste à calculer à l'aide d'un programme informatique les position relatives des atomes en tenant compte de deux types de données. D'une part un logiciel de mécanique moléculaire, intégrant les variations d'énergie liées à toute déformation de la molécule (variation de longueurs de liaison, d'angles de valence, etc.) détermine les conformations les plus stables de la molécule. D'autre part, des relations de proximité de certains couples d'atomes fournies par le spectre permettent d'opérer une sélection parmi les possibilités précédentes. La Fig. 8 montre (à gauche) le spectre NOESY partiel d'une protéine présente dans le lait, l'angiogénine bovine, avec des centaines de signaux dont chacun indique la proximité spatiale plus ou moins grande des deux protons dont les déplacements chimiques sont lus respectivement en abscisse et en ordonnée. La partie droite présente le résultat de la modélisation, dont les divers tracés traduisent une certaine incertitude, faible dans les parties centrales, plus importante à l'extrémité des chaînes. Fig. 8 Spectre NOESY partiel et modélisation sous contrainte spectroscopique de l'angiogénine bovine (Lequin et coll. Biochemistry 35 (1996), 8870). Spectrométrie de masse Présentation de la méthode La spectrométrie de masse (SM) est avec la RMN la méthode qui a connu récemment les progrès les plus spectaculaires. Nous nous contenterons d'en donner le principe et d'en évoquer quelques applications. L'excitation à laquelle la molécule M est soumise ici consiste en un apport d'énergie suffisant pour lui arracher un électron, donnant l'ion moléculaire M+. La méthode la plus classique consiste à bombarder la molécule, préalablement vaporisée, par un faisceau d'électrons (e–) accélérés par un potentiel de quelques dizaines de volts : M + e– ® M+ + 2e– Cette énergie peut entraîner la rupture de certaines molécules en divers points, donnant des fragments dont certains sont neutres et ne sont pas décelés, d'autres conservant la charge positive. L'étape suivante consiste à déterminer la masse des divers fragments chargés. Un spectre de masse présente en abscisse le nombre de masse des ions et en ordonnée leur abondance relative, en % de l'ion le plus abondant. Pour reprendre l'exemple de l'acétate d'éthyle (Fig. 3), on remarque au nombre de masse 88 l'ion moléculaire C4H8O2+. L'ion le plus abondant correspond au fragment COCH3+, et on remarque des ions CH3+ et C2H5+ résultant tous ici d'une simple coupure de liaison. Mais des réarrangements de l'ion moléculaire sont également fréquents, et constituent une chimie bien différente de celle des espèces neutres placées dans les conditions habituelles. Les fragments légers sont en général faciles à identifier grâce à leur nombre de masse. Par exemple, dans une molécule organique, un ion de 15 unités de masse ne peut être que CH3 ou NH. Mais les fragments plus lourds peuvent correspondre à un nombre élevé d'entités différentes, et la formule brute de l'ion moléculaire peut elle-même être inconnue. Ainsi le nombre de masse 88 peut-il correspondre à 21 formules brutes contenant les éléments C,H,O et N. Il y a plusieurs techniques en SM pour lever cette incertitude. L'une d'elles consiste à mesurer la masse moléculaire exacte. En effet, si la masse atomique du carbone est 12,0000 par convention, celle de l'oxygène n'est pas exactement 16, mais 15,9949, celle de l'hydrogène 1,0078 etc. La masse moléculaire exacte des molécules C4H8O2 est alors 88,0524. Si on dispose d'un appareil de SM à haute résolution, capable de déterminer les masses avec quatre décimales, il sera aisé de distinguer C4H8O2 de C3H8N2O (88,0637) et des 19 autres entités de même nombre de masse. Analyse d'un mélange : le couplage chromatographie-spectrométrie de masse Si les méthodes examinées jusqu'à présent permettent parfois l'identification des constituants d'un mélange brut, ce travail sera toujours plus aisée à partir d'un échantillon pur. Le problème de la séparation et de la purification des constituants d'un mélange est donc étroitement lié à celui de leur identification. Parmi les nombreuses méthodes de séparation, citons la chromatographie en phase gazeuse. Dans cette technique, le mélange est vaporisé et injecté à l'extrémité d'un tube de verre capillaire (d'environ 0,1 mm de diamètre), de quelques mètres de long, parcouru par un courant d'un gaz inerte (azote ou hélium). La paroi intérieure du tube est tapissée d'une substance appelée phase stationnaire. Les molécules du mélange tendent, d'une part, à être entraînées par le courant gazeux, mais, d'autre part, sont ralenties par des interactions avec la phase stationnaire. Ces interactions étant en général différentes avec des molécules différentes, les divers constituants du mélange évoluent à des vitesses différentes dans le tube et se séparent progressivement les uns des autres. Un dispositif détecte, à la sortie, la présence d'un produit qui a mis un certain temps, son temps de rétention, à parcourir la longueur du tube. Ce temps de rétention est en lui même une caractéristique de la molécule et peut suffire à son identification si on a affaire à un mélange familier comme par exemple des polluants dans l'atmosphère ou des hydrocarbures dans un carburant. La Fig. 9 présente le chromatogramme d'un extrait de l'essence de lavande. Chaque pic correspond à un constituant, avec son temps de rétention exprimé en minutes et secondes. Fig. 9 Chromatogramme de l'essence de lavande. Le couplage avec la spectrométrie de masse a permis l'identification du camphre, de l'eucalyptol, du bornéol, du butyrate de linalyle etc. (document fourni par C. Loutelier-Bourhis) Il est possible de coupler le chromatographe avec un appareil de SM. Lorsqu'un produit parvient au détecteur, il est envoyé dans la chambre d'injection du spectromètre. Le spectre de masse obtenu constitue une empreinte digitale et la molécule peut être identifiée par recherche informatisée dans une bibliothèque de spectres contenant jusqu'à des centaines de milliers de références. La légende de la Fig. 9 signale quelques uns des constituants du mélange. Conclusion L'avènement des spectroscopies a révolutionné le travail d'identification des molécules, se traduisant, au moins au niveau de la recherche, par l'abandon de méthodes chimiques au profit de méthodes physiques. Ces dernières sont pour la plupart non destructrices et ne requièrent qu'une faible quantité de matière, de l'ordre du mg en général, et jusqu'au nanogramme en spectrométrie de masse. Si les spectroscopies UV-visible, IR et de micro-ondes sont limitées à l'identification de petites molécules, elles présentent l'avantage, sous la forme de la spectroscopie d'émission, d'atteindre des régions situées hors de l'appareil de mesure, d'où leur intérêt en astrochimie. En revanche, le champ d'application de la RMN et de la spectrométrie de masse s'étend désormais aux grosses molécules de la biochimie. La RMN est aussi utilisée en médecine sous le nom d'IRM (imagerie par résonance magnétique).


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DÉVELOPPEMENT ET ÉVOLUTION DU SYSTÈME NERVEUX

 

 

 

 

 

 

 

Le développement et l'évolution du système nerveux.

Notre propos traitera d'embryologie, pas d'embryologie humaine bien que certains aspects du développement des autres espèces soient aussi valables pour celui de l'Homme. Nous avons, en effet, beaucoup à partager avec les autres animaux, voire avec les champignons et les plantes.

S'il fallait donner une définition de l'embryologie elle serait relativement simple. L'embryologie est l'ensemble des processus qui mènent de l'oeuf, à partir du moment où le spermatozoïde et l'ovule l'ont formé, à l'organisme adulte ou imago. Ainsi sous le terme d'embryologie, deux processus se confondent ou se superposent :

- fabriquer l'imago c'est-à-dire faire un individu dont la forme est représentative de l'espèce ;

- fabriquer un individu particulier qui diffère des autres membres de son espèce.

Ces deux processus sont inscrits l'un dans l'autre et, selon l'espèces ou l'embranchement – la place occupée dans l'histoire de l'évolution - ils n'ont pas forcément la même importance. Fondamentalement l'embryologie est question de formes et question de temps. À partir d'un oeuf se construit un individu dont la forme, l'imago, est spécifique de l'espèce. Un oeuf c'est une cellule alors qu'un individu c'est plusieurs milliards de cellules. Il y a donc une immense prolifération du nombre de cellules à partir de l'oeuf. Par ailleurs, un individu est constitué de plusieurs types de tissus, musculaire, nerveux, hépatique. Ces tissus se forment à partir de trois feuillets embryonnaires : le mésoderme donnera les muscles et les os, l'ectoderme le système nerveux et la peau, l'endoderme le tube digestif, les poumons et les glandes annexes du tube digestif comme le foie, le pancréas, la thyroïde.

Les résultats sur la première étape de formation du tissu nerveux - l'induction neurale - ont été initialement obtenus chez le crapaud Xénope mais ils sont également vrais pour le poulet, et dans les grandes lignes pour la souris et l'Homme. Au départ, à partir de la cellule initiale, une phase de prolifération mène au stade de la morula, puis de la blastula qui précède la gastrulation et l'induction neurale. La blastula est une sorte de boule creuse avec des cellules à la surface. Le système nerveux va se développer à partir de la surface extérieure dorsale de cette boule. Au cours de la gastrulation cet ectoderme dorsal est induit à devenir de l'ectoderme neural c'est-à-dire à former du système nerveux.

L'induction neurale a été découverte dans les années 1930-40 par Mangold et Spemann à la suite d'expériences dans lesquelles ils greffaient des morceaux d'embryon de Triton blanc dans un embryon de Triton noir, histoire de distinguer tissu receveur et tissu donneur. En prenant une région particulière du Triton blanc et en la greffant dans la région ventrale d'un oeuf de Triton noir, ils se sont rendus compte qu'ils dorsalisaient la région ventrale de ce dernier. Au lieu d'avoir un Triton normalement constitué ils ont obtenu un Triton à deux dos dans lequel il n'y avait pas de partie ventrale. Ils avaient induit la formation d'un deuxième système nerveux central.

À la suite de ces expériences, de nombreux chercheurs ont cherché à identifier la nature moléculaire de ces inducteurs neuraux présents dans cette petite région inductrice et mésodermique qui mise au contact de la région ventrale modifie destin embryonnaire. Cette recherche des inducteurs neuraux qui dure depuis plus de 60 ans n'est - à ce jour - toujours pas totalement aboutie. Dans la suite du développement, le triton s'allonge et à la surface dorsale se constitue une plaque neurale. Cette plaque neurale ne va donner naissance au tube neural qu'après avoir été internalisée par l'embryon.

Dans le développement du système nerveux, comme dans le développement en général, l'information positionnelle joue un rôle très important. On peut voir le système nerveux comme une plaque, une feuille sur laquelle on peut tracer un quadrillage. Une fois qu'elle s'est refermée en tube, la plaque reste quadrillée. Il y a une orientation dorso-ventrale et une orientation antéro-postérieure. Si chacun de ces carrés était défini par l'expression d'une catégorie de gènes, d'un algorithme génétique, on serait capable de définir la position de n'importe quelle cellule à partir de la connaissance des gènes qu'elle exprime. Considérer le système nerveux comme un plan et considérer ce problème de l'information positionnelle comme le problème d'un quadrillage du plan peut aider à comprendre énormément de questions qui sont posées sur la construction du système nerveux.

L'information positionnelle signifie qu'une cellule dans une région donnée, quand le tube neural s'est fermé et différencié, donnera naissance à un type de cellules bien déterminé par exemple spécifique du cortex frontal ou du bas de la moelle épinière. Pourtant, au départ, au moment où la plaque neurale se forme, les cellules sont extrêmement semblables. Beaucoup plus tard, les réseaux neuronaux seront construits. Les neurones sont amenés à envoyer un axone, un prolongement, vers une autre région pour former une synapse, un contact neuronal. La navigation du cône de croissance, la tête chercheuse du neurone, doit être précise. Le cône de croissance doit être capable, dans l'espace tridimensionnel du système nerveux, de retrouver une cible parfois très éloignée. Le quadrillage de l'information positionnelle est fondamental pour que le cône de croissance connaisse sa position et sache où il doit se diriger et quand il doit s'arrêter, c'est-à-dire pour construire un système nerveux fonctionnel.

Nous allons maintenant faire une parenthèse sur le concept d'information positionnelle et ce qu'on appelle les gènes de développement. Les gènes sont d'importance variable. Ainsi les gènes qui contrôlent la forme et la couleur des poils, la couleur des yeux, sont importants d'un point de vue esthétique mais ne sont pas fondamentaux pour ce qui est du développement de l'embryon. Par contre, il existe des classes de gènes dits de développement, qui - eux – sont essentiels pour ce qui est de la forme de l'embryon et de son développement.

La découverte de gènes dont les mutations modifiaient la forme a constitué une avancée considérable dans la compréhension de comment se construit un organisme. La grande percée a eu lieu chez la mouche du vinaigre, Drosophile, chez laquelle des généticiens du début du siècle, surtout l'école de Morgan, ont démontré que certaines mutations pouvaient transformer un organe en un autre, par exemple l'oeil en aile (mutation ophtalmoptera). Ces mutations monstrueuses suggérèrent que les gènes mutés étaient responsables du développement morphogénétique de ces petits amas de cellules embryonnaires qu'on appelle des disques imaginaux à l'origine des différents organes de la mouche. Ces gènes ont été clonés chez la mouche. Ils ont été appelés homéogènes parce que leur

mutation entraîne la transformation de l'organe d'un segment de la mouche en l'organe homologue d'un autre segment (l'aile en oeil ou l'antenne en patte, par exemple). L'existence de ces gènes lie le développement à l'évolution. En effet la compréhension de la transformation d'un organe en un autre permet de comprendre comment se sont formés des monstres au cour de l'évolution. Il est probable que beaucoup de processus de création de nouvelles espèces (les monstres qui ont réussi) sont liés à des modifications du nombre, du lieu d'expression et surtout du temps d'expression de ces gènes qui influent sur le développement morphologique des animaux et des plantes. Ces gènes homéotiques codent pour des facteurs de transcription c'est-à-dire des protéines qui restent dans le noyau des cellules et qui régulent l'expression d'autres gènes. Ce sont des gènes architectes qui contiennent le plan de la mouche et décident de la position des différents organes. Ils régulent d'autres gènes qui, eux, fabriquent réellement les organes. Ces gènes de développement sont au centre de réseaux génétiques. Une des grandes difficultés de la biologie du développement aujourd'hui est de comprendre quels sont les gènes dont l'activité est régulée par les gènes de développement, lesquels sont maintenant pratiquement tous identifiés dans le règne animal.

Chez la mouche, ces gènes de développement sont disposés le long d'un chromosome. Une chose tout à fait étonnante est que les gènes "en avant" du chromosome, en 3', sont exprimés dans les régions les plus antérieures de l'animal et que les gènes en 5', "en arrière" du chromosome, sont exprimés dans les régions les plus postérieures. D'une certaine façon la mouche est représentée sur le chromosome par la disposition des gènes de ce complexe homéotique. Quand le génome passe de la génération x à la génération x+ 1, le plan de l'animal, de l'imago, qu'il va falloir construire est transmis.

Ces facteurs de transcription, produits de ces gènes de développement - gènes du complexe HOM - se fixent à l'ADN car ils doivent réguler l'expression d'autres gènes. Ils se fixent par une petite séquence d'environ 60 acides aminés, appelée l'homéodomaine et codée par l'homéoboîte. Tous ces gènes chez la mouche ont pratiquement la même homéoboîte. Ils constituent donc une famille. Grâce à cette signature de l'homéoboîte cette même famille a été retrouvée chez la souris et chez l'Homme. Chez les vertébrés, ces gènes sont disposés non pas sur un mais sur quatre chromosomes et les gènes de ces quatre complexes HOM/Hox ont à peu près les mêmes propriétés que ceux de la mouche. Ils sont exprimés à l'avant de l'embryon quand ils sont en 3' du chromosome et à l'arrière des axes embryonnaires quand ils sont en 5' du chromosome. En analysant les gènes de mouche et de souris il a été observé que le remplacement d'un gène de mouche par un gène placé à la même position sur un des quatre chromosomes de la souris, permet de réparer la mouche. Cette complémentation marque une homologie à travers l'évolution ou encore une orthologie. À partir de la constatation de ces orthologies, on peut tirer la conclusion qu'il existe un ancêtre commun aux arthropodes et aux vertébrés. Cet ancêtre aurait vécu il y a 600 millions d'années, soit avant l'explosion du précambrien. L'évolution a alors suivi deux voies différentes l'une vers l'embranchement des arthropodes, l'autre vers celui des vertébrés. Deux duplications chromosomiques ont probablement permis la formation des quatre complexes qui sont la signature des vertébrés.

Les gènes que nous venons de décrire n'influent pas directement sur le système nerveux antérieur. Les chercheurs qui s'intéressent au cerveau ont donc utilisé une stratégie très proche en cherchant des gènes s'exprimant dans les ganglions céphaliques de la mouche. Ils ont trouvé à nouveau des gènes de la même famille, codant pour des facteurs de transcription, par exemple orthodenticle ou otd. Ayant découvert ces gènes ils ont regardé si des gènes homologues existaient dans le cerveau de la souris et en ont trouvé. Par exemple otx 1 et otx 2 qui sont assez proches de otd, s'expriment aussi dans les régions antérieures du cortex de la souris et de l'Homme et sont capables de complémenter otd. La suppression, chez la mouche, du gène otd entraîne la perte des structures céphaliques antérieures et, pour certains allèles de otd, des ocelles (trois "yeux" dorsaux). Son remplacement par otx 1 ou otx 2 de souris ou d'Homme restitue à la mouche sa morphologie normale. A l'homologie de structure et de site d'expression dans les régions antérieures du système nerveux, s'ajoute donc la

complémentation fonctionnelle. Ceci suggère très fortement que les régions antérieures existaient chez l'ancêtre commun et peut être même avant. Ainsi l'idée très développée que la céphalisation est un processus tardif de l'évolution est une idée fausse. La génétique du développement nous démontre qu'en fait la tête était là depuis le départ, au moins depuis le moment où nous nous sommes séparés de nos lointains cousins les arthropodes. Pourquoi avons-nous deux gènes otx 1 et otx 2 ? La génétique de la souris est suffisamment évoluée pour qu'on puisse retirer ou ajouter un gène à n'importe quel moment du développement. On parle de perte ou gain de fonction. La délétion de otx 2 donne une souris sans tête, c'est-à-dire sans système nerveux antérieur. C'est létal. Celle de otx 1 laisse un cerveau presque normal mais aminci du côté temporal et la souris fait des crises d'épilepsie. Surtout, elle perd le canal latéral semi-circulaire de l'oreille interne, structure qui au cours de l'évolution apparaît avec la transition des poissons sans machoires (agnathes) aux gnathostomes. Si on remplace otx 2 par otx 1 la souris commence à faire son système nerveux

mais elle ne le maintient pas. Si on remplace otx 1 par otx 2 on restitue presque toutes les fonctions de otx 1 sauf le développement du canal latéral semi-circulaire de l'oreille interne. Cela suggère qu'au départ il y avait uniquement otx 2 (orthologue de otd). Une duplication de otx 2 a rendu possible la formation de son paralogue otx 1 dont l'évolution a apporté des gains de fonction associés au passage des agnathes aux gnathostomes. L'étude des gènes de développement permet donc non seulement de comprendre le développement des organismes mais aussi l'évolution des espèces. Une nouvelle discipline est née "l'évodévo" ou développement/évolution. Il existe une très grande quantité de gènes exprimés dans les régions antéro-postérieures et dorso-ventrales du système nerveux de telle sorte que si on prend un système nerveux aplati sur lequel on trace un quadrillage, chaque région peut être définie par une combinatoire d'expression de gènes de développement. C'est en fonction de cette information positionnelle que les cellules vont donner naissance aux différents organes.

L'étape suivante dans la formation du système nerveux après la formation du tube neural à partir de la plaque neurale qui s'est refermée, c'est de le faire grossir. À partir d'une ou deux rangées de cellules il faut construire, par exemple, un cortex de 2 m2 chez Homo sapiens. Les différentes zones de cette surface ne sont pas homogènes, elles ne sont pas dévolues aux mêmes fonctions : il existe des aires olfactives, des aires associatives, des aires auditives, des aires visuelles, etc. Au cours de l'évolution la surface du cortex a augmenté et s'est régionalisée. Plis et circonvolutions permettent de tout empaqueter dans la boîte crânienne. L'augmentation générale de surface et celle ds surfaces dévolues aux fonctions spécifiques ont probablement varié à la suite de mutations de gènes de développement régulant prolifération et survie cellulaire dans des régions particulières. Par exemple, les surfaces allouées aux fonctions dites cognitives, associatives, ou permettant la maîtrise du langage, ont augmenté chez Homo sapiens plus que chez nos cousins les primates. Après la régionalisation du système nerveux, la deuxième période de ce développement permet donc la multiplication des cellules, l'organisation du cortex en six couches, la formation de toutes les structures cérébrales, la navigation axonale, la formation des synapses. Les mécanismes d'orientation d'une cellule migrante ou du cône de croissance d'un axone d'une cellule nerveuse ne sont pas encore connus même si nous savons qu'ils ont partie liée avec la lecture de l'information positionnelle, donc l'expression des gènes de développement.

Nous allons maintenant passer à des aspects un peu plus généraux. Nous avons vu tout à l'heure que nous avions au niveau chromosomique quatre représentations du corps, ce qu'on appelle des homonculus génétiques ou représentations génomiques du plan du corps. Ce plan du corps est marqué par la localisation de ces gènes de développement le long des chromosomes et par leur domaine d'expression spatio-temporel. Le cerveau est lui-même l'objet d'une construction génétique soumise à une régulation épigénétique. Par exemple, il existe dans le cortex sensoriel - sous la forme de réseaux neuronaux - une représentation du corps (donc à caractère génétique car reproduisant l'imago), mais cette représentation est déformée épigénétiquement car les régions les plus innervées sur le plan sensoriel mobilisent le plus grand nombre de neurones. La stimulation sensorielle "anime et déforme" un ensemble de neurones qui sont, pas exemple, "la main dans le cerveau".

Les réseaux neuronaux sont construits en fonction, à la fois d'une contrainte génétique, il s'agit d'un homonculus spécifique de l'espèce, et d'un environnement sensoriel. Si on coupe les afférences sensorielles, on perd le développement correct des représentations du corps au niveau du cortex. Si, chez la souris, à la naissance, on ôte les vibrisses (récepteurs sensoriels sur le museau), ils ne seront pas représentés dans le cortex, le membre sera absent. L'usage et l'influence de l'environnement sur tous les systèmes sensoriels modifient donc pour chaque individu la construction de ses représentations au niveau du système nerveux central. C'est ce qu'on appelle l'épigenèse, processus par lequel bien qu'appartenant à une même espèce, tous les individus sont différents. Le cerveau est capable d'engrammer une histoire individuelle, affective, sensorielle, une histoire de nos stimulations par le milieu. Plus nous sommes stimulés, plus nous développons des constructions épigénétiques variées. C'est vrai chez l'enfant, chez l'adolescent mais aussi chez l'adulte. En effet, une des grandes innovations des vertébrés est d'avoir gardé un système nerveux embryonnaire chez l'adulte. Ainsi, l'épigenèse se construit-elle à partir des nouveaux neurones, des arborisations neuritiques qui se

déforment, des synapses qui se font et se défont. Elle est un processus d'adaptation qui se

poursuit toute la vie. Le fait d'être du côté des arthropodes ou de celui des vertébrés a des conséquences fondamentales sur les stratégies d'adaptation. Nous partageons beaucoup avec les mouches, avec les vers et toute les études sur ces organismes sont extraordinairement importantes pour comprendre comment fonctionne et comment se construit le système nerveux des vertébrés.

Mais les logiques de nos stratégies adaptatives sont très différentes. Dans l'embranchement des arthropodes, notre grand concurrent au niveau de l'évolution, l'adaptation se fait de façon presque purement génétique. Il y a très peu d'individuation. La construction de l'individu n'est jamais très éloignée de celle de son génome. Chez les vertébrés, et encore plus chez nous parce que nous avons des systèmes de communication qui sont très riches de sens, le langage en particulier, l'adaptation ne se fait pas au niveau de la sélection de clones, elle se fait au niveau de la variabilité de l'individu, de son évolution.

L'adaptation se fait par individuation

Le système nerveux d'un individu au temps t et au temps t+δt n'est pas le même, il a évolué. L'intensité des synapses, leur nombre, le nombre de cellules, l'organisation des réseaux auront varié. Cette variation de structure biologique correspond à une évolution de l'objet, une adaptation à son milieu, une réponse à son histoire. Il y a donc de la plasticité chez l'adulte, dans certaines limites bien entendu, et cette plasticité est très certainement liée à l'expression continuée de ces même gènes de développement qui sont responsables non seulement de l'évolution, non seulement de la mise en place des grandes structures cérébrales (cortex, cervelet, moelle épinière), mais aussi de la plasticité permanente du système morphologique y compris à l'âge adulte.

La plasticité implique que de nombreuses cellules naissent, se différencient et meurent. Il existe des cellules souches dans la peau, le foie, le système hématopoïétique/immunitaire mais aussi dans le système nerveux central. Les premières ont été trouvées dans le bulbe olfactif : les interneurones du bulbe olfactif se reproduisent environ une fois par mois à partir de la zone sous-ventriculaire qui est une structure corticale située à l'avant du cerveau dont les cellules migrent pour aller envahir le bulbe. Ces cellules souches prolifèrent, migrent, se différencient comme des neurones normaux au cour du développement embryonnaire. Puis des cellules souches ont été repérées dans l'hippocampe, une structure à l'arrière du cortex qui est d'une grande importance pour la mémoire spatiale. Dans nombre de maladies neurodégénératives il y a perte de cellules au niveau de l'hippocampe. Très récemment des cellules souches ont été trouvées dans le cortex associatif du macaque. C'est une des régions la plus importante pour la mémorisation, la construction de souvenirs, pour la pensée d'une certaine façon. Le développement embryonnaire se poursuit donc sous une forme silencieuse chez l'adulte par la génération de nouvelles cellules souches qui vont migrer, se différencier et s'insérer dans des nouveaux réseaux neuronaux de la naissance à la mort. C'est une des bases de notre capacité à apprendre, de notre force d'adaptation, au niveau individuel, face aux défis qui nous sont apportés par les modifications de l'environnement physique et affectif. La question du vieillissement est donc à reposer. Pour certains, le vieillissement est une perte de fonctions à partir d'un âge idéal, une sorte de gain d'entropie catastrophique. Il peut être vu, aussi,

comme l'accumulation d'accidents du développement chez l'adulte. La biologie du développement pourrait donc nous donner des clés pour comprendre ce qu'est le vieillissement chez l'animal adulte et ce que sont de nombreuses maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer.

En conclusion, revenons sur ce que ces résultats rapportés de façon extrêmement schématiques nous disent sur ce qu'on appelle "pensée". Il existe beaucoup de confusions sur le terme de "pensée". La pensée n'est pas une substance, elle n'est pas un mécanisme. Pour un biologiste, la pensée est le rapport adaptatif que tout corps vivant entretient avec son milieu. Les arthropodes, les invertébrés, ont une pensée qui est très génétique : leur rapport au milieu est fixé, très proche de leur génome. C'est une contrainte mais c'est peut-être aussi un succès parce qu'ils se développent de façon clonale. Des mutations favorables peuvent être reproduites très vite. La connaissance que nous avons des arthropodes, dans un certain sens soutiennent les thèses sociobiologiques. Si on veut bien admettre que la pensée est le rapport adaptatif à son milieu, alors, tous les êtres, animaux et plantes, pensent. Chez les vertébrés et au plus haut point chez Homo sapiens, le milieu modifie la structure. Nos gènes font que nous sommes Homo sapiens mais ils nous donnent une très grande liberté par rapport au milieu. L'évolution a sélectionné une stratégie de développement qui fait que

chaque individu peut se modifier au cours de sa vie, qu'il bénéficie d'une très grande liberté épigénétique. C'est une des bases du succès et de l'adaptation de l'espèce humaine, encore que, sans vouloir être pessimiste, après 200 000 ans d'existence à peine, nous ne savons pas vers quoi mènera ce perfectionnement extraordinaire des mécanismes épigénétiques. Enfin, nous pouvons nous adapter par individuation mais aussi par l'invention d'artefacts comme la culture qui est, avec la mémoire génétique et la mémoire individuelle, la troisième et dernière forme de mémoire à laquelle nous pouvons nous référer pour penser le vivant.


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LE DIALOGUE MOLÉCULAIRE DES SYMBIOSES

 


 

 

 

 

 

Texte de la 8ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 8 janvier 2000
par Jean Dénarié
Dialogue moléculaire des symbioses
Alors que l’azote moléculaire (N2) constitue environ 80% de l’atmosphère terrestre, l’azote
constitue un facteur limitant majeur de la croissance des végétaux cultivés. Ce paradoxe est
dû au fait que la molécule d’azote est très stable et que les organismes supérieurs (eucaryotes)
sont incapables de l’utiliser. Seules des bactéries (procaryotes) dites fixatrices d’azote sont
capables de réduire N2 en ammoniac. La réduction de l’azote est très exigeante en énergie : il
faut 16 molécules d’ATP (donneur d’énergie dans les cellules) pour réduire une molécule
d’azote. C’est pourquoi les systèmes fixateurs d’azote les plus efficaces sont des symbioses
associant des bactéries fixatrices à des organismes photosynthétiques capables de transformer
l’énergie lumineuse en énergie chimique. Trois symbioses jouent un rôle particulièrement
important.
(i) En Asie l’association de cyanobactéries avec des fougères aquatiques, les Azolla, est
exploitée pour servir d’engrais vert dans les rizières.
(ii) Des plantes ligneuses appartenant à plusieurs familles forment des nodosités fixatrices
d’azote avec des bactéries filamenteuses (actinomycètes) du genre Frankia. Ces plantes, dites
à actinorhizes, jouent un rôle important dans la colonisation de terres peu fertiles ou
dégradées (Dommergues et al. 1999).
(iii) Mais la symbiose la plus importante d’un point de vue écologique et agronomique est
celle associant des bactéries du sol, les Rhizobium, aux légumineuses.
De nombreuses légumineuses ont une grande importance dans l’alimentation humaine et
animale grâce à leur richesse en protéines. Des plantes comme le soja, l’arachide, le pois, les
haricots sont cultivées pour la production de graines, tandis que la luzerne et le trèfle sont
exploités comme productions fourragères. La famille des Légumineuses est très nombreuse
(plus de 16.000 espèces), très diversifiée (comprenant des plantes herbacées annuelles et des
arbres de très grande taille) et colonise des écosystèmes extrêmement variés des régions
circumboréales, tempérées, désertiques et intertropicales (Dommergues et al. 1999). Les
Rhizobium induisent sur les racines des légumineuses-hôtes, la formation de véritables
organes, les nodosités, à l'intérieur desquelles ils fixent l'azote atmosphérique [figure 1]. Les
nodosités des Légumineuses produisent chaque année, sur notre planète, davantage
d’ammoniac que l’ensemble de l’industrie des engrais azotés ! Il est donc important de
comprendre les mécanismes génétiques et moléculaires responsables de la formation de ces
organes.
2
1/ Un dialogue moléculaire entre partenaires de la symbiose : Gènes nod et facteurs Nod
On appelle Rhizobium toutes les bactéries qui sont capables d’induire la formation de
nodosités chez les Légumineuses. Les Rhizobium n’appartiennent pas à un phylum unique de
bactéries mais à plusieurs groupes phylogénétiques dont font également partie des bactéries
non-symbiotiques [figure 2]. Cette diversité est reflétée par le fait qu’ils appartiennent à
plusieurs genres (les Azorhizobium, Bradyrhizobium, Mesorhizobium, Rhizobium et
Sinorhizobium). Les symbioses Rhizobium-Légumineuses sont très spécifiques: ainsi un
Rhizobium donné n'induit la formation de nodosités fixatrices que chez un nombre défini de
plantes-hôtes. Étant donnée la grande diversité observée au niveau des bactéries et des
plantes, est-ce que les mécanismes responsables de l’établissement de ces symbioses sont très
divers ?
3
L’analyse génétique de diverses espèces de Rhizobium a permis d’identifier des gènes nod
qui contrôlent la spécificité d'hôte, l'infection et la formation des nodosités. Ces gènes nod
sont impliqués dans un dialogue moléculaire entre les partenaires symbiotiques [figure 3].
Les gènes régulateurs nodD, codent pour des protéines qui, en présence de signaux (de type
4
flavonoïdes) sécrétés par la plante, activent l’expression des autres gènes nod de la bactérie,
dits gènes nod structuraux. Les gènes nodD codant pour des récepteurs spécifiques de
signaux de la plante constituent un premier niveau de contrôle de la spécificité d’hôte.
Les gènes nod structuraux sont impliqués dans la synthèse et la sécrétion de signaux
symbiotiques bactériens extracellulaires, les facteurs Nod. Les facteurs Nod sont des lipooligosaccharides,
des oligomères de chitine qui sont N-acylés par une chaîne d’acide gras
(Lerouge et al. 1990). Les gènes "communs" nodABC qui sont présents chez tous les
Rhizobium déterminent la synthèse de la structure de base commune à tous les facteurs Nod
(Dénarié et al. 1996). Ces gènes nodABC jouent un rôle absolument essentiel dans la
formation des nodosités. Une mutation dans l’un de ces gènes rend la bactérie incapable
d’établir une relation symbiotique. Chaque espèce de Rhizobium présente un spectre d’hôte
singulier et possède, en plus des gènes nodABC, une combinaison de gènes nod spécifiques
qui "décorent" le squelette oligochitinique à l’aide de substitutions particulières qui confèrent
aux facteurs Nod leur spécificité [figure 4]. Ainsi, les facteurs Nod des Sinorhizobium de
luzerne sont sulfatés et acylés par un acide gras particulier tandis que les signaux des
Azorhizobium de Sesbania sont substitués par deux sucres, le fucose et l’arabinose. Des
expériences de génétique ont montré que les gènes contrôlant la nature et la position des
substitutions sont des déterminants majeurs de la spécificité d’hôte. Les facteurs Nod ont une
grande activité biologique et ils induisent à de faibles concentrations (nano à picomolaire) de
nombreuses réponses symbiotiques similaires à celles induites par les bactéries elles-mêmes
(Dénarié et al. 1996 ; Schultze et Kondorosi, 1998)).
5
2/ Evolution des gènes nod et des facteurs Nod
Les facteurs Nod sont des clés permettant aux Rhizobium d’entrer spécifiquement dans les
Légumineuses-hôtes. La diversité structurale des signaux de nodulation correspond à des
variations sur un même thème et l’étude de la structure des facteurs Nod et des gènes
responsables de ces variations peut fournir des indications sur les mécanismes moléculaires
responsables de cette biodiversité et sur l’évolution des systèmes de communication entre
symbiontes. Par exemple certains Rhizobium produisent des facteurs Nod avec une chaîne
d’acide gras polyinsaturé présentant des caractéristiques différentes selon les espèces.
L’aptitude à synthétiser de tels facteurs Nod n’est pas corrélée avec la phylogénie des
Rhizobium mais avec celle des plantes hôtes. Ces Rhizobium nodulent des Légumineuses
appartenant à un groupe bien défini, le phylum des Galégoïdes. On peut donc faire
l’hypothèse qu’au cours de l’évolution est apparue, au niveau d’une branche des
Légumineuses, un type de récepteur de facteur Nod permettant la reconnaissance d’une
structure particulière de la chaîne d’acide gras des facteurs Nod (Yang et al. 1999).
La protéine NodA est un enzyme qui permet le transfert de l’acide gras sur l’oligomère de
chitine. C’est une acyl transférase qui est spécifique des acides gras transférés et des
oligomères de chitine substitués qui servent d’accepteur pour l’acide gras. L’analyse de la
séquence de la protéine NodA chez les divers Rhizobium permet de prédire certaines
caractéristiques structurales des facteurs Nod comme la présence de groupes fucose et
arabinose, d’une chaîne d’acide gras polyinsaturé. Il existe donc une certaine corrélation
entre la séquence de NodA et la spécificité d’hôte. Les gènes nod communs constituent donc
de bons marqueurs moléculaires pour l’étude de la coévolution des déterminants du dialogue
moléculaire.
6
Chez tous les Rhizobium, quelque soit le groupe auxquels ils appartiennent, il existe au moins
un gène nodD, codant pour le récepteur des signaux de nodulation de la plante-hôte et des
gènes nodABC. On doit donc faire l’hypothèse d’une origine unique de ces gènes clés
impliqués dans les échanges de signaux de nodulation. Ces gènes auraient ensuite été
transférés horizontalement entre différents groupes de bactéries du sol, conférant à celles-ci
l’aptitude à noduler les Légumineuses. Des gènes nod spécifiques auraient été ensuite
recrutés, formant des combinaisons variables et contribuant à la diversification des signaux
(Yang et al. 1999). Les gènes symbiotiques sont regroupés chez certaines espèces sur des
plasmides, facilitant le transfert "en bloc" entre souches de ces programmes génétiques. Dans
d’autres espèces les gènes symbiotiques sont localisés sur le chromosome où ils forment des
"îlots symbiotiques" qui peuvent être également transférés entre souches dans les sols, par des
mécanismes qui n’ont pas encore été clairement identifiés.
Les gènes nod ne représentent qu’une faible partie du programme symbiotique de Rhizobium
(une vingtaine de gènes parmi plusieurs centaines) et des approches plus globales sont
développées pour identifier l’ensemble des gènes symbiotiques du microsymbiote. Le
séquençage complet de Sinorhizobium meliloti, choisi comme Rhizobium modèle, devrait être
bientôt achevé et va permettre le développement d’une génomique fonctionnelle de
Rhizobium. L’utilisation de filtres à haute densité et de puces à ADN, couplée à des
approches génétiques, devrait permettre d’identifier et caractériser l’ensemble des gènes de la
bactérie induits au cours des différentes étapes de la symbiose.
3/ Le choix d’une Légumineuse-modèle, Medicago truncatula
Les facteurs Nod purifiés suscitent des réponses variées sur les racines de Légumineusehôtes,
à de très faibles concentrations (nano- à picomolaires). Ils peuvent provoquer la
réorganisation du cytosquelette dans les poils absorbants, ils induisent la transcription de
gènes de Légumineuses, les gènes ENOD, qui sont exprimés spécifiquement au cours des
étapes précoces de la symbiose, et ont un effet mitogène et organogène sur des cellules
corticales (Dénarié et al. 1996 ; Schultze et kondorosi, 1998). Ainsi les Légumineuses
possèdent un programme symbiotique et les facteurs Nod activent une partie de ce
programme (Truchet et al., 1991). Comment identifier ce programme génétique de la plante?
La biologie moderne a montré l’utilité de concentrer les efforts de la communauté
scientifique sur des organismes modèles. Dans le domaine de la biologie végétale, une petite
Crucifère Arabidopsis thaliana, a fait l’objet de programmes de recherches ambitieux et le
séquençage complet de son génome devrait être terminé au cours de l’année 2000. La
moisson de résultats obtenus récemment sur cette plante-modèle est extrêmement abondante.
Malheureusement, Arabidopsis n’est pas capable d’établir des symbioses, ni avec Rhizobium
ni avec des champignons mycorhiziens. Les endomycorhizes à arbuscule sont des symbioses
très importantes. Elles sont présentes chez plus de 80% des plantes et permettent une
meilleure nutrition minérale, notamment phosphatée, en fournissant à la plante-hôte une forte
extension du système racinaire grâce au développement d’un vaste réseau d’hyphes fongiques
dans le sol (Gianinazzi 1996). Ces symbioses sont très anciennes et des fossiles suggèrent
leur existence au cours de l’ère primaire (environ 400 millions d’années) : leur présence
aurait alors contribué à la colonisation par les plantes du milieu terrestre. Les Légumineuses
sont capables d’établir les deux types de symbioses, formation de nodosités avec des
Rhizobium et formation d’endomycorhizes avec des champignons de l’ordre des Glomales.
Des équipes françaises de l’INRA et du CNRS ont identifié une Légumineuse, Medicago
truncatula, qui a un génome de taille réduite, et qui présente des caractéristiques favorables
7
pour les études de génétique moléculaire. Cette espèce a été adoptée, par de nombreuses
équipes européennes et américaines, comme modèle pour identifier les programmes
symbiotiques des végétaux.
Les facteurs Nod doivent être reconnus à la surface des poils absorbants de la plante-hôte et
cette information est ensuite transduite dans différents compartiments de ces cellules et dans
les cellules environnantes pour provoquer les réponses appropriées : c’est ce que l’on appelle
la transduction du signal Nod (Schultze et Kondorosi, 1998). Des mutants de M. truncatula
impliqués dans la transduction des signaux Nod ont été isolés. De façon surprenante, des
mutants altérés dans des étapes précoces de cette cascade de transduction sont affectés à la
fois pour la formation des nodosités et des endomycorhizes. L’analyse génétique révèle
l’existence d’au moins trois étapes communes dans la transduction des signaux symbiotiques
provenant des Rhizobium (les facteurs Nod) et des champignons mycorhiziens
(d’hypothétiques facteurs Myc) [figure 5]. Le clonage des gènes de M. truncatula, contrôlant
ces étapes de la transduction des signaux symbiotiques, est en cours. La découverte de la
nature chimique des facteurs Nod, des oligomères de chitine, avait été surprenante. En effet,
les bactéries et les plantes ne synthétisant pas de chitine, la raison pour laquelle des bactéries
utilisent des oligomères de chitine pour dialoguer avec des plantes n’était pas évidente. On
peut maintenant faire l’hypothèse que le programme symbiotique Rhizobium-Légumineuses,
d’origine relativement récente, a emprunté certains éléments à un programme symbiotique
mycorhizien plus ancien (Gianinazzi, 1996). En effet les champignons mycorhiziens
synthétisent de la chitine pour élaborer la paroi de leur mycélium. Plusieurs équipes de
Toulouse essaient de purifier des "facteurs Myc" pour déterminer leur nature chimique et
savoir si il s’agit, ou non, d’oligomères de chitine. Il faut noter qu’en conditions de
laboratoire l’addition de facteurs Nod stimule non seulement la formation de nodosités mais
également la formation d’endomycorhizes. L’inoculation de Légumineuses à grande échelle
(sur des dizaines de millions d’hectares) par enrobage de graines à l’aide de souches
sélectionnées de Rhizobium, est pratiquée dans toutes les régions du monde et en particulier
pour le soja et la luzerne aux USA, au Canada, au Brésil, en Argentine et en Europe. Des
recherches de développement sont en cours, avec un partenaire industriel, pour déterminer si
l’addition aux inoculum de Rhizobium de signaux symbiotiques comme les flavonoïdes et les
facteurs Nod pourrait accélérer et augmenter la formation des nodules et des mycorhizes.
8
4/ La génomique et l’identification des programmes symbiotiques végétaux
Les approches classiques de génétique moléculaire ont permis l’identification de gènes de
Légumineuses qui sont régulés de façon particulière au cours de la formation et du
9
fonctionnement des nodosités, les gènes de nodulines. Les méthodes de séquençage de l’ADN
à grande échelle, l’application des méthodes automatiques et des nanotechnologies à l’étude
de l’hybridation des acides nucleïques et la découverte de méthodes d’amplification de
l’ADN (clonage et PCR) ont permis le développement d’une discipline nouvelle, la
génomique, qui vise à étudier la structure et l’expression des génomes de façon globale en
identifiant non plus quelques dizaines de gènes mais l’ensemble des gènes d’un organisme,
soit des milliers de gènes.
Des programmes de génomique de la légumineuse-modèle Medicago truncatula sont en cours
de développement aux USA et en Europe. Les projets de génomique fonctionnelle ont
notamment pour but d’identifier et de séquencer le plus grand nombre possible de gènes dont
la régulation de l’expression est modifiée au cours de la formation des nodosités, de la
formation des endomycorhizes et des gènes communs aux deux types de symbioses :
identifier le programme génétique des endosymbioses racinaires végétales. Les projets de
génomique structurale ont pour but d’établir des cartes génétiques et physiques des huit
chromosomes et d’étudier la répartition des gènes, notamment symbiotiques, sur ces
chromosomes. Il a été montré qu’au sein d’une même famille botanique, on observe une
conservation (synténie) dans l’ordre des gènes répartis le long des chromosomes. L’existence
de cette synténie justifie le développement d’une génomique comparative des Légumineuses,
c’est à dire l’exploitation de la légumineuse-modèle pour faciliter la génétique et la
génomique des légumineuses d’intérêt agronomique comme le soja, le pois protéagineux,
l’arachide, le haricot, la féverole pour les Légumineuses à graines et la luzerne et le trèfle
pour les plantes fourragères.
En effet les Légumineuses constituent la source majeure de protéines végétales tant pour
l’alimentation humaine (sojas en Asie, haricots et pois) que pour l’élevage des bovins,
porcins et volailles. Des incidents récents (maladie de la vache folle, etc.) ont montré que
l’utilisation de sources de protéines autres que végétales dans l’alimentation animale n’était
pas totalement dépourvue de risques. D’autre part, les légumineuses représentent le meilleur
moyen de produire des protéines végétales dans le cadre d’une agriculture durable et
respectueuse de l’environnement. En effet leur aptitude à fixer l’azote rend inutile
l’utilisation d’engrais azotés. Or la synthèse, le transport et l’épandage des engrais azotés
consomment des combustibles fossiles (2 tonnes de fuel pour une tonne d’ammoniac) et
contribuent à l’effet de serre. Des travaux récents ont également montré que l’introduction de
Légumineuses dans des rotations diminue les pertes d’azote par lessivage et la pollution des
nappes phréatiques par des nitrates (Drinkwater et al. 1998). Le développement de la
génomique d’une légumineuse-modèle devrait contribuer à l’amélioration génétique des
légumineuses d’intérêt agronomique et au développement d’une agriculture plus amicale pour
l’environnement et les consommateurs.
5/ Vers une fixation symbiotique de l’azote chez les céréales ?
Un objectif très important, pour contribuer au développement d’une agriculture durable, sera
d’étendre l’aptitude à fixer l’azote à des plantes de grande culture autres que les
Légumineuses, les céréales par exemple. Plusieurs stratégies sont explorées (voir Ladha et
Reddy, 2000).
1) Introduire des bactéries fixatrices d’azote dans la rhizosphère des plantes. Mais dans la
rhizosphère ces bactéries sont soumises à une forte compétition avec une microflore très
abondante et les échanges métaboliques avec la plante-hôte sont limités. La quantité d’azote
10
fixé et transféré à la plante est donc très faible (et ne dépasserait pas 5 kg d’azote par
hectare).
2) Les bactéries fixatrices d’azote possèdent une vingtaine de gènes nif qui contrôlent la
synthèse d’un complexe enzymatique (nitrogénase) responsable de la réduction de l’azote
moléculaire en ammoniac. D’où l’idée de transférer par génie génétique des gènes nif
bactériens directement dans le génome de plantes dans l’objectif de créer des plantes
fixatrices d’azote. Les cibles pourraient être des organites de plantes comme les chloroplastes
ou les mitochondries qui ont une origine endosymbiotique bactérienne et devraient constituer
un environnement plus favorable pour l’expression de gènes bactériens. Un gène nifH a
récemment été introduit dans le chloroplaste d’une algue unicellulaire Chlamydomonas et a
permis la biosynthèse d’une protéine NifH fonctionnelle. Ce résultat est très encourageant,
mais le projet de l’introduction de l’ensemble des gènes nif requis (une quinzaine), avec un
niveau d’expression satisfaisant et compatible avec la physiologie des organites et de la
plante, s’il n’est plus tout à fait de la science-fiction, reste un projet à très long terme.
3) Un autre projet à très long terme vise à transférer chez les céréales l’aptitude à former des
nodosités fixatrices avec Rhizobium, en d’autres termes transférer tout ou partie du
programme de nodulation des Légumineuses chez les céréales. La découverte que des gènes
de Légumineuses contrôlent à la fois la formation de nodosités et d’endomycorhizes suggère
que tels gènes existent chez les céréales comme le riz, le blé ou le maïs qui sont capables de
former des endomycorhizes. Un projet de génomique fonctionnelle vise à identifier le
programme génétique d’endomycorhization du riz. Une comparaison des programmes
d’endosymbiose des Légumineuses et des céréales devrait permettre de déterminer quels sont
les gènes d’endosymbiose qui existent déjà chez les céréales et ceux qui devraient être
introduits à partir du génome des Légumineuses.
4) Une découverte récente réalisée par l’équipe dirigée par Paola Bonfante, à l’Université de
Turin, pourrait changer les perspectives. Cette équipe a montré que certains champignons
endomycorhiziens comme Gigaspora margarita contiennent des bactéries intracellulaires à
l’intérieur des spores mais également dans le mycélium (Bianciotto et al. 1996). Des études
d’amplification de gènes ont montré que ces bactéries appartiennent au genre Burkholderia et
qu’elles possèdent des gènes nif, notamment l’opéron nifHDK présent chez toutes les
bactéries fixatrices d’azote et qui code pour les deux composants de l’enzyme nitrogénase. A
l’heure actuelle une collaboration entre l’équipe de Paola Bonfante, et des équipes de
Toulouse et Montpellier vise à étudier l’aptitude à fixer l’azote, de ces mycorhizes. Cette
découverte de bactéries nif endosymbiotiques de mycorhizes devrait ouvrir de nouvelles
perspectives de recherche. En effet, le gros intérêt de la symbiose endomycorhizienne est
qu’elle est présente chez la grande majorité des plantes cultivées, y compris les céréales.
L’existence de certains champignons mycorhiziens possédant des bactéries endosymbiotiques
fixatrices d’azote pourrait ouvrir la voie à la sélection de souches très fixatrices symbiotiques
des céréales les plus importantes. Par ailleurs la génétique et la sélection des plantes cultivées
et notamment des céréales devrait tenir compte de l’aptitude à établir des associations
mycorhiziennes, caractère qui n’a pas été du tout pris en compte par la sélection végétale
dans une phase de la recherche agronomique (la seconde moitié du 20ème siècle) fondée sur
l’utilisation massive d’engrais chimiques azotés et phosphatés.
Les endosymbioses semblent avoir joué un rôle décisif dans l’évolution, en permettant
l’acquisition par des cellules d’organites jouant un rôle clé dans le métabolisme énergétique.
Les mitochondries sont des organites des cellules animales et végétales qui permettent la
respiration cellulaire et la synthèse de l’énergie sous forme d’ATP. Elles ont très
11
vraisemblablement tiré leur origine d’une association entre une cellule eucaryote primitive
anaérobie et des bactéries aérobies dont l’intégration durable a permis la formation de
cellules capables d’utiliser l’oxygène pour tirer leur énergie de la respiration [figure 6]. Il en
est de même pour les chloroplastes, organites qui semblent avoir été acquis grâce à une
endosymbiose avec des cyanobactéries photosynthétiques, et qui permettent aux végétaux de
transformer de l’énergie lumineuse en énergie chimique (ATP). Il s’agit là de deux étapes
considérables au cours de l’évolution qui ont modifié le fonctionnement de la biosphère et
permis son extension. Au cours du 21ème siècle, l’humanité devra concilier la forte
démographie de l’espèce humaine, exigeante en protéines, et la nécessité d’exploiter au
mieux et de façon durable notre environnement : ce sont peut-être encore des endosymbioses
qui permettront de trouver une solution. Des poupées russes d’endosymbioses : la plante
hébergeant ses hôtes et leur fournissant du carbone et de l’énergie, un champignon
endomycorhizien, qui a l’avantage de l’ubiquité, prospectant le sol par son mycélium étendu
et améliorant la nutrition phosphatée et hydrique du système et hébergeant une bactérie
endosymbiotique fixatrice d’azote.
12
Les figures ont été préparées par Frédéric Debellé et Charles Rosenberg (CNRS-INRA
Toulouse)
13
Références bibliographiques
Bianciotto V, Bandi C, Minerdi D, Sironi M, Tichy HV, Bonfante P (1996) An obligately
endosymbiotic mycorrhizal fungus itself harbors obligately intracellular bacteria. Appl
Environ Microbiol, 62: 3005-3010.
Dénarié J, Debellé F, Promé JC (1996). Rhizobium lipo-chitooligosaccharide nodulation
factors: signaling molecules mediating recognition and morphogenesis. Ann Rev Biochem,
65: 503-535.
Dommergues Y, Duhoux E, Diem HG (1999). Les arbres fixateurs d’azote. Editions Espace
34, Montpellier, 528 p.
Drinkwater LE, Wagoner P, Sarrantonio M. (1998). Legume-based cropping systems have
reduced carbon and nitrogen losses. Nature, 396, 262-265.
Gianinazzi-Pearson V (1996). Plant cell responses to arbuscular mycorrhizal fungi: getting to
the roots of the symbiosis. Plant Cell, 8: 1871-1883.
Ladha JK, Reddy PM (2000) The quest for nitrogen fixation in rice. International Rice
Research Institute, Makati City, 354 p.
Lerouge P, Roche P, Faucher C, Maillet F, Truchet G, Promé JC, Dénarié J (1990) Symbiotic
host-specificity of Rhizobium meliloti is determined by a sulphated and acylated glucosamine
oligosaccharide signal. Nature, 344: 781-784.
Schultze M, Kondorosi A (1998) Regulation of symbiotic root nodule formation. Ann Rev
Genetics, 32:33-57.
Truchet G, Roche P, Lerouge P, Vasse J, Camut S, de Billy F, Promé JC, Dénarié J (1991)
Sulphated lipo-oligosaccharide signals of Rhizobium meliloti elicit root nodule
organogenesis in alfalfa. Nature, 351: 670-673.
Yang GP, Debellé F, Savagnac A, Ferro M, Schiltz O, Maillet F, Promé D, Trilhou M, Vialas
C, Linstrom K, Dénarié J, Promé JC (1999) Structure of the Mesorhizobium huakuii and
Rhizobium galegae Nod factors: a cluster of phylogenetically related legumes are nodulated
by rhizobia producing Nod factors with α,β-unsaturated N-acyl substitutions. Molec
Microbiol, 34:227-237.

 

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L'ADN révèle les mécanismes de divergence
Marine Cygler dans mensuel 480
daté octobre 2013 -  Réservé aux abonnés du site


Sur l'île volcanique Lord Howe, en mer de Tasmanie, coexistent deux espèces de palmiers du genre Howea, étroitement apparentées. Toutes deux n'existent que sur ce minuscule territoire isolé, long de 12 kilomètres et large d'un seul, où elles représentent 70 % de la végétation. Depuis 2006, et les travaux de l'équipe de Vincent Savolainen, des jardins botaniques royaux de Kew, au Royaume-Uni, elles ont acquis un statut très particulier : il s'agit du premier exemple bien documenté d'espèces végétales ayant divergé l'une de l'autre dans un contexte où il existait très probablement des croisements, donc de forts échanges génétiques, entre les deux groupes en cours de divergence.

Comment ce phénomène de spéciation « avec flux de gènes », longtemps considéré comme impossible, a-t-il pu se produire ? Grâce aux progrès des techniques de séquençage et d'analyse de l'ADN, et en confrontant les données génétiques ainsi obtenues avec les modèles théoriques de spéciation, les spécialistes de biologie évolutive commencent tout juste à identifier la nature des processus génétiques sous-jacents. Qu'il s'agisse des palmiers Howea ou d'autres espèces, végétales ou animales.

Inversion chromosomique
« Chez les végétaux, il n'est pas rare que deux espèces divergent l'une de l'autre sans être isolées géographiquement », souligne Myriam Harry, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette. Le mécanisme mis en oeuvre est connu chez les plantes qui se reproduisent par autofécondation. Lors de la production des gamètes, il se passe parfois un « accident » de répartition des chromosomes, qui fait que les descendants de la plante concernée ont deux fois plus de chromosomes. De ce fait, ils peuvent se reproduire entre eux, mais pas avec les individus de la lignée parentale. Il y a donc une émergence presque immédiate d'une nouvelle espèce, bien qu'elle occupe le même territoire que l'ancienne. « Mais chez le palmier Howea, la situation est très différente, explique Myriam Harry. En effet, les deux espèces ont le même nombre de chromosomes. Il faut donc chercher d'autres mécanismes ayant favorisé la divergence. »

Sur le plan théorique, plusieurs hypothèses, non exclusives, sont avancées pour expliquer un tel phénomène de spéciation sympatrique, quand l'autofécondation est exclue. L'une d'elles implique la survenue d'accidents chromosomiques lors de la formation des gamètes, chez quelques individus de la population initiale : un ou plusieurs fragments de chromosomes sont inversés, à un ou plusieurs endroits du génome, d'où le nom d'« inversions chromosomiques ». Un tel réarrangement est potentiellement très efficace pour conduire à la différenciation d'une nouvelle espèce. En effet, lors de la reproduction, de tels gamètes ne peuvent se recombiner qu'avec d'autres présentant les mêmes inversions.

Sur le terrain, de telles inversions ont été trouvées chez deux sous-espèces d'épinoches Gasterosteus aculeatus qui cohabitent dans les eaux proches des côtes de la province canadienne de Colombie britannique. Ainsi que chez des sous-espèces d'escargots de mer, Littorina saxatilis, qui cohabitent dans différents écosystèmes rocheux depuis la Méditerranée jusqu'aux îles du Svalbard.

Si ces observations semblent d'abord étayer la théorie, elles ne sauraient à elles seules la valider. En effet, « ce n'est pas parce que l'on repère une inversion chromosomique qu'elle est forcément à l'origine de la divergence, insiste Myriam Harry. Un autre exemple, celui des mouches Rhagoletis pomonella, nous a appris la prudence. »

Introduction d'un nouvel hôte
Les mouches Rhagoletis pomonella vivent dans le nord des États-Unis où, pendant longtemps, elles se sont développées exclusivement sur l'aubépine, pondant leurs oeufs dans les fruits de cet arbuste. Mais au milieu du XIXe siècle, après la plantation de nombreux vergers de pommiers, certaines de ces mouches ont changé d'hôte. En quelques dizaines d'années, une nouvelle race, inféodée aux pommiers, est apparue, alors qu'il y avait des aubépines à proximité immédiate. Depuis, ce voisinage entre les Rhagoletis des aubépines et celles des pommiers perdure. Il constitue l'un des exemples emblématiques de spéciation en cours, avec flux de gènes.

En 2003, l'Américain Jeffrey Feder, de l'université Notre-Dame, dans l'Indiana, a découvert six inversions chromosomiques dans le génome des Rhagoletis du pommier [2]. Elles étaient réparties sur trois chromosomes. Or, ces inversions incluaient chacune un gène associé à la durée de la période larvaire de l'insecte, au bout de laquelle l'adulte sort de la chrysalide, se reproduit, puis pond ses oeufs dans les fruits. Il s'agit d'un caractère important pour l'adaptation de la mouche à son hôte : les observations de terrain montrent qu'à une latitude donnée, la mouche des pommiers éclot dix jours plus tôt que celle des aubépines, ce qui est en adéquation avec le fait que les pommiers forment des fruits trois semaines avant les aubépines. À l'époque, Jeffrey Feder avait conclu que ces observations étayaient le rôle décisif des inversions chromosomiques dans le processus de divergence.

Théorie des îlots
Mais en 2010, son équipe a observé des différences génomiques supplémentaires qui l'ont amenée à réviser cette conclusion [3]. Les biologistes de l'Indiana ont en effet comparé, chez les deux sous-espèces de Rhagoletis, les 6 gènes clés présents dans les inversions, ainsi que 33 autres courtes séquences d'ADN réparties ailleurs, sur l'ensemble des chromosomes. Ils ont alors constaté qu'en fait, 26 de ces 39 régions différaient fortement d'une race à l'autre.

Sans nier un rôle éventuel des inversions dans la divergence des deux races de Rhagoletis, ces résultats remettaient en question leur prééminence. En effet, ils suggéraient que les inversions n'étaient sûrement pas les seules zones du génome impliquées dans ce processus. Mais ce n'est pas tout. Ils obligeaient également à nuancer une autre théorie avancée pour expliquer la spéciation avec flux de gènes : la théorie des « îlots de divergence » [4].

D'après cette théorie, lorsqu'un sous-groupe commence à se séparer de la population mère, la plus grande partie du génome reste identique, à l'exception de quelques petites zones, appelées « îlots de divergence ». Ces îlots comprennent un gène conférant un caractère important - par exemple un gène favorisant l'adaptation à un nouvel environnement -, ainsi que les régions qui le bordent. L'idée est que ces îlots sont protégés de tout mélange lors d'une éventuelle hybridation et qu'ils divergent de plus en plus, en augmentant en taille au fur et à mesure. À un moment donné, cette divergence est telle qu'on a deux espèces au lieu d'une seule [fig. 1].

Certaines données génomiques semblent appuyer cette théorie. En 2001, Sara Via, de l'université du Maryland, aux États-Unis, l'un des ardents défenseurs de la théorie des îlots, a découvert quelques régions hautement différenciées dans le génome de deux races de pucerons Acyrthosiphon pisum vivant à proximité l'une de l'autre, dont l'une se reproduit sur la luzerne, et l'autre sur le trèfle. Qui plus est, chacune de ces régions inclut des gènes importants pour le choix de la plante hôte. Quant aux travaux publiés en 2006 sur les palmiers Howea, ils indiquent que sur 274 zones du génome étudiées, seules 4 diffèrent notablement entre les deux espèces.

Toutefois, chez Rhagoletis pomonella, les différences génomiques entre les deux populations de mouches sont réparties sur pas moins de la moitié du génome. Rien à voir, donc, avec quelques régions circonscrites ! Aussi, la théorie des îlots ne semble-t-elle pas s'appliquer chez cette mouche : dans son cas, la divergence commencerait au niveau de plusieurs continents.

Changements en temps réel
Globalement, ces résultats laissent penser que l'ambition d'identifier un mécanisme général est probablement illusoire. « Il faut même partir du principe qu'il n'y a que des cas particuliers », assène Daven Presgraves, de l'université de Rochester, aux États-Unis. Dans les quelques années qui viennent, il est en tout cas probable qu'ils se multiplieront. En effet, les technologies de séquençage ont fait de tels progrès que les spécialistes de biologie évolutive s'appuieront de plus en plus sur l'analyse de génomes entiers. « Auparavant, on regardait des régions du génome qu'on suspectait être impliquées dans la spéciation parce qu'elles codaient un caractère important, pour l'adaptation au milieu par exemple. Maintenant, nous pouvons procéder sans a priori, ce qui permettra de découvrir des modifications génomiques inattendues, explique Pierre Capy, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette. Sans compter qu'il ne faut pas oublier le rôle éventuel de mécanismes non génétiques » (lire « Au-delà de la génétique, l'épigénétique ? », p. 49) .

Reste que les progrès techniques ne sauraient résoudre tous les problèmes : « Nos travaux se déroulent à un moment donné de la séparation des deux espèces, explique Louis Bernatchez, de l'université Laval, à Québec. Nous sommes donc toujours dans un processus de reconstruction hypothétique de ce qui a pu se passer avant. Alors que l'idéal serait d'observer ces changements en temps réel. »

Sur le terrain, l'idéal n'existe pas. Mais par chance, certains cas s'en approchent. En particulier, celui du grand corégone, Coregonus clupeaformis. Ce poisson, qui vit dans les eaux froides des plans d'eau nord-américains, est en voie de divergence adaptative dans certains lacs. Le suivi de la faune le prouve : une forme naine est en train de diverger de la forme normale. L'équipe de Louis Bernatchez a déjà détecté, dans leur génome, la présence d'îlots. Mais elle a aussi constaté, en étudiant les génomes dans leur intégralité, que leur degré de divergence global était plus ou moins prononcé selon les lacs [5]. Autrement dit, chacun représente une étape donnée du processus de divergence. En comparant plusieurs individus nains et normaux provenant de chaque lac, l'équipe de l'université Laval compte essayer de mettre en évidence les forces évolutives qui conduisent à la formation d'îlots et à leur évolution. Avec l'espoir, au final, de mieux comprendre les étapes de la spéciation avec flux de gènes. En tout cas pour le grand corégone !
L'ESSENTIEL
- SUR LE PLAN GÉNÉTIQUE, différentes hypothèses permettent d'expliquer un phénomène de spéciation sans isolement géographique.

- PLUSIEURS ESPÈCES issues de ce type de spéciation étant maintenant connues, leur génome a été séquencé et analysé.

- LES MODIFICATIONS observées sont beaucoup plus variées qu'on ne l'imaginait.
AU-DELÀ DE LA GÉNÉTIQUE, L'ÉPIGÉNÉTIQUE ?
En février 2012, une équipe de l'Institut national de la recherche agronomique de Versailles a identifié, lors d'expériences de croisement entre deux lignées de la plante Arabidopsis thaliana, l'existence de quelques descendants stériles parmi de nombreux descendants fertiles. Or, le génome de ceux-ci ne présentait ni mutation ni inversion de séquences. D'où venait donc leur impossibilité à se reproduire ? De modifications dites « épigénétiques », en l'occurrence la fixation de groupements chimiques, appelés « méthyle », sur l'ADN d'un unique gène [1]. En examinant les deux lignées parentales, les biologistes ont constaté que cette modification épigénétique était déjà présente chez l'une d'elle. On est donc dans une situation où deux lignées d'une même espèce présentent une différence les empêchant de se croiser, ce qui pourrait favoriser leur divergence. Ce type d'observation n'a pas encore été réalisé dans la nature. Mais, selon Pierre Capy, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette, « étant donné que certaines marques épigénétiques peuvent se transmettre de génération en génération, on doit impérativement les inclure dans nos réflexions sur les processus de spéciation ».

[1] S. Durand et al., Curr. Biol., 22, 326, 2012.


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