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SANG CONTAMINÉ

 

 

 

 

 

 

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Retour sur l'affaire du sang contaminé
Catherine Manuel et Pascal Auquier dans mensuel 288
daté juin 1996 -


Plus de dix ans après les faits, l'affaire du sang contaminé n'est pas terminée. Ni en France ni ailleurs. Pour tenter de clarifier les choses, nous nous sommes livrés à deux exercices inédits : proposer une chronologie à la fois scientifique et internationale. La chronologie proprement scientifique est présentée à part. Elle mentionne, espérons-nous, les principaux articles publiés dans la littérature scientifique et épidémiologique de 1982 à 1985. Elle est complétée par un second exercice chronologique, qui fournit des points de repère de nature politico-institutionnelle. Ce second tableau est forcément plus sujet à caution - non quant à l'exactitude des faits mais du point de vue de leur sélection. Notre principal souci a été d'éliminer toute forme de parti pris. Il s'agit à nos yeux d'un document de travail, qui mérite sans aucun doute d'être corrigé et enrichi. Rappelons simplement que si l'affaire du sang contaminé a d'abord éclaté en France, seul pays où elle a pris l'ampleur d'un débat national, elle est internationale, et concerne à la fois les hémophiles et les transfusés. De nombreuses procédures judiciaires sont en cours dans les principaux pays de l'OCDE. Selon la Fédération mondiale des hémophiles, le taux d'hémophiles contaminés variait en 1989 de moins de 7,5 % en Belgique, pays qui avait mené une politique de grande prudence, à 90 % aux Etats-Unis. Il était de 44 % en Grande-Bretagne, de 61 % en Allemagne et de 45 % en France*. Comme l'a confirmé un rapport du Haut Comité français de santé publique 1993, la France se distingue par un taux exceptionnellement élevé de contamination chez les transfusés non hémophiles.
CHRONOLOGIE SCIENTIFIQUE
1981

5 juin

« CDC Pneumocystis pneumonia », Los Angeles, MMWR 30, 250-252.

Premier rapport du CDC signalant cinq cas d'homosexuels atteints d'une profonde déficience immunitaire associée à une pneumonie et à d'autres infections opportunistes.

1982

16 juillet

« CDC Pneumocystis carinii pneumonia among persons with hemophilia A », MMWR 31, 365-367.

Trois cas semblables rapportés aux Etats-Unis chez des hémophiles A* non homosexuels et non toxicomanes ayant reçu des concentrés de facteur VIII*.

13 août

J.L. Marx, « New disease baffles medical community », Science, 217, 618-621.

L'hypothèse d'un agent infectieux viral est étayée par la ressemblance des populations à risque pour le sida et pour l'hépatite B.

Hypothèse que les hémophiles sont beaucoup plus menacés que les transfusés en raison de l'exposition répétée à des dérivés sanguins provenant de nombreux donneurs.

Novembre

N.L.C. Luban et al., « Investigation of immune status in children and adolescents with hemophilia », Blood 60 sup 1, 216 a abstract. L'article intégral sera publié dans The Lancet , 5 mars 1983.

Une étude de l'état immunitaire de vingt-cinq enfants et adolescents hémophiles suggère que le risque de sida augmente avec la durée d'exposition aux facteurs sanguins concentrés lyophylisés*.

Novembre

P. Weintrub et al., « Altered T - Cell immunity in hemophiliacs receiving frequent factor VIII concentrate », Blood 60 sup 1, 224 a abstract.

Analyse du taux de lymphocytes T* chez dix hémophiles recevant des concentrés de facteur VIII* par rapport à des contrôles. La plupart des tests montrent un degré significatif d'immunosuppression sans évidence d'infection opportuniste ni de malignité. Les auteurs recommandent de surveiller l'apparition éventuelle de signes avant-coureurs du sida.

10 décembre

« CDC Update on acquired immuno- deficiency syndrome AIDS among patients with hemophilia A », MMWR 31, 644-652.

Description de quatre nouveaux cas d'hémophiles survenus depuis ceux déclarés en juillet 1982. L'article souligne que tous ces patients ont reçu des concentrés de facteur VIII. Le même bulletin décrit la contamination d'un bébé à San Francisco après transfusion du sang d'un homosexuel.

1983

13 janvier

J.E. Menitove et al., « T lymphocyte subpopulations in patients with classic hemophilia treated with cryoprecipitate and lyophilized concentrates », The New England Journal of Medicine, 308, 83-86.

Analyse des lymphocytes T chez vingt-deux hémophiles divisés en deux groupes :

- un groupe traité par des cryoprécipités* obtenus à partir de donneurs volontaires ;

- un groupe traité par des concentrés de facteur VIII commerciaux.

Les hémophiles traités par les concentrés ont un pourcentage plus important d'anomalies du rapport T4/T8* que les hémophiles traités par des cryoprécipités 36 % pour la population entière, 57 % pour les receveurs de concentrés.

« Les résultats sont compatibles avec la possibilité que les préparations commerciales de concentrés de facteurs VIII puissent induire un tableau de sida mais un nombre plus important de patients doit être étudié avant conclusion définitive. »

13 janvier

M.M. Lederman et al., « Impaired cell-mediated immunity in patients with classic hemophilia », The New England Journal of Medicine, 308, 79-83.

Etude du système immunitaire d'une population d'hémophiles par rapport à une population témoin.

On retrouve des anomalies des lymphocytes T chez les hémophiles traités avec des concentrés mais pas chez ceux qui n'ont reçu que des cryoprécipités.

13 janvier

J. Desforges, « Aids and preventive treat-ment in hemophilia », The New England Journal of Medicine, 308, 94-95.

L'article dénonce clairement les dangers des concentrés par rapport aux cryoprécipités et réclame le retour à des pratiques moins dangereuses. L'auteur pense qu'il est urgent d'alerter les médecins traitant les hémophiles.

« La facilité d'obtention des concentrés lyophilisés a rendu possible les programmes ambulatoires... Ces programmes ont eu un énorme succès et médecins et patients n'y renonceront qu'à contrecoeur... Cependant le fait que les hémophiles risquent le sida est devenu clair. Si l'utilisation des cryoprécipités peut minimiser ce risque, il est nécessaire de réviser les programmes courants de thérapie à domicile. »

22 janvier

« Acquired immunodeficiency syndrome », Editorial, The Lancet, 162-164.

Les hémophiles sont l'une des quatre populations à risque et représentent 0,7 % des contaminés aux Etats-Unis 75 % homosexuels, 13 % toxicomanes, 6 % immigrés haïtiens.

29 janvier

M.V. Ragni et al., « Acquired immunodefi-ciency-like syndrome in two hemophiliacs », The Lancet, 213-214.

Etude de deux hémophiles A, présentant les symptômes du sida, utilisant des concentrés de facteurs VIII et ayant des marqueurs sérologiques de l'hépatite B. La transmission par des produits sanguins est jugée probable.

24 février

O.D. Ratnoff et al., « Coincident classic hemophilia and "idiopathic" thrombo-cytopenic purpura in patients under treat-ment with concentrates of antihemophilic factor factor VIII », The New England Journal of Medicine, 308, 439-442.

Etude de cinq cas d'hémophiles présentant des symptômes du sida. « Les études citées et nos observations suggèrent la nécessité d'une surveillance soigneuse des hémophiles recevant des concentrés de facteur VIII sur le plan des troubles de l'immunorégulation. »

Mars

K.C. Davis et al., « Acquired immunodefi-ciency syndrome in a patient with hemo-philia », Annals of Internal Medicine, 98, 284-286.

M.C. Poon et al., « Acquired immuno-deficiency syndrome with pneumocystis carinii pneumonia and mycobacterium avium-intracellulare infection in a pre-viously healthy patient with classic hemo-philia », Annals of Internal Medicine, 98, 287-290.

J.L. Elliott et al., « The acquired immu-nodeficiency syndrome and myco-bacy-terium avium-intracellular bacteremia in a patient with hemophilia », Annals of Internal Medicine, 98, 290-293.

Trois observations de sida Colorado, Alabama, Ohio chez trois hémophiles sans autres facteurs de risque laissent supposer la contamination par les concentrés de facteurs VIII.

Mars

J.C. Goldsmith et al., « T-lymphocyte subpopulation abnormalities in apparently healthy patients with hemophilia », Annals of Internal Medicine, 98, 294-296.

Tout en réclamant la poursuite de recherches sur les hémophiles permettant de certifier une liaison des infections opportunistes et malignes avec l'exposition aux concentrés de facteur VIII, les auteurs estiment « qu'à présent, les preuves sont insuffisantes pour justifier un changement des pratiques thérapeutiques chez ces patients ».

Mars

G.C. White et H.R. Lesesne, « Hemophilia, hepatitis, and the acquired immuno-deficiency syndrome », Annals of Internal Medicine, 98, 403-404.

Les concentrés sont plus dangereux que les cryoprécipités.

Le chauffage des produits sanguins réduit le risque de l'hépatite B : en serait-il de même pour le sida ?

« Notre propre approche a été de supprimer les traitements facultatifs, de réduire les doses et, pour quelques patients, de passer des concentrés aux cryoprécipités. »

2 avril

« Acquired immunodeficiency in haemo-philia », Editorial, The Lancet, 745.

Analyse de la série d'articles parus dans Annals of Internal Medicine.

Les études de Goldsmith et de White suggèrent que « les anomalies des lymphocytes T retrouvées communément chez les hémophiles peuvent être la partie immergée d'un iceberg dont les cas de sida constituent la pointe cliniquement visible » mais cette image d'iceberg ne reflète pas nécessairement la vérité.

White et Lesesne ont modifié leur pratique médicale.

Desforges est d'avis de supprimer les programmes de thérapie à domicile.

L'éditorial conclut que « bien qu'une surveillance rigoureuse doive continuer, les cas reportés ne constituent pas un argument pour changer la stratégie des traitements. »

30 avril

R.S. Gordon, « Factor VIII products and disordered immune regulation », The Lancet, 991.

E. Lissen et al., « Aids in haemophilia patients in Spain », The Lancet, 992-993.

C.M. Kessler et al., « Abnormal T - Lymphocyte subpopulations associated with transfusions of blood-derived products », The Lancet, 991-992.

Ces trois articles insistent sur le danger des concentrés. Le troisième juge que l'exclusion des concentrés réduit l'incidence des anomalies dans le rapport T4/T8 sans cependant supprimer le risque.

Mai

A. Landay et al., « Immunologic studies in asymptomatic hemophilia patients », The Journal of Clinical Investigation, 71, 1500-1504.

Différences dans les anomalies des lymphocytes T entre patients traités par concentrés et patients traités par cryoprécipités qui conservent des paramètres immunologiques normaux. Les anomalies attachées aux concentrés ne sont pas reconnues comme un indicateur de sida imminent, et des études longitudinales sont nécessaires pour déterminer leur signification clinique.

20 mai

F. Barré-Sinoussi et al., « Isolation of a lym-photropic retrovirus from a patient at risk for AIDS », Science, 220, 868-871.

Dans le même numéro de Science sont publiés d'une part la découverte du rétrovirus isolé à l'Institut Pasteur et trois articles des laboratoires de Gallo et d'Essex présentant un autre virus comme agent causal du sida. Il sera par la suite établi que c'est le virus isolé et cultivé par l'Institut Pasteur qui a été exploité par Gallo et qui servira à établir les premiers tests de diagnostic, y compris par Abbott.

28 mai

C.A. Ludlam et al., « Disordered immune regulation in hemophiliacs not exposed to commercial factor VIII », The Lancet, 1226.

Hémophiles ayant des anomalies dans le ratio des lymphocytes T mais recevant seulement des produits fabriqués en Ecosse à partir du sang de donneurs volontaires aucun cas de sida n'ayant été retrouvé chez les donneurs écossais. Les auteurs concluent que ces anomalies sont dues à des protéines étrangères ou à un virus omniprésent.

Juin

R.D. Miller et al., « Aids and blood pro-ducts », The Journal of Anesthesiology, 58, 493-494.

Possibilité de transmission du sida par le sang et les produits dérivés du sang. L'article cite la National Hemophilia Foundation Etats-Unis qui a recommandé d'utiliser exclusivement des cryoprécipités chez les enfants de moins de 4 ans, chez les hémophiles récemment identifiés et chez ceux qui n'ont besoin que d'une thérapie peu fréquente. Recommande également aux fabricants de concentrés d'exclure les donneurs à risque et issus de certaines villes San Francisco, New York, Los Angeles, Miami.

24 juin

« CDC Acquired immunodeficiency syndro-me AIDS », Update-United States, MMWR 32, 309-311.

Les groupes à haut risque continuent d'être les hommes homosexuels et bisexuels 71 %, les toxicomanes intraveineux 17 %, les personnes nées à Haïti et vivant aux Etats-Unis 5 % et les patients atteints d'hémophilie 1 %.

2 juillet

K.A. Rickard et al., « Absence of Aids in he-mophiliacs in Australia traited from an entirely voluntary blood donor system », The Lancet, 50-51.

Absence de cas de sida chez des hémophiles australiens traités dans un système autosuffisant de dons entièrement volontaires et non rémunérés.

20 juillet

Situation du sida en France.z BEH n° 28/1983.

Premier cas français de sida chez un hémophile n'appartenant pas à un groupe à risque reconnu.

1er octobre

C. Tsoukas et al., « Immunologic dysfunc-tion in patients with classic hemophilia receiving lyophilized factor VIII concen-trates and cryoprecipitates », Can. Med. Assoc. J., 129, 713-717.

Altérations immunitaires surtout dans le groupe recevant des concentrés.

15 octobre

K.S. Froebel et al., « Immunological abnormalities in hemophilia : are they cau-sed by american factor VIII concentrate ? », Br. Med. J., 287, 1091-1093.

Une étude écossaise montre des résultats équivalents pour les anomalies immunologiques entre deux groupes d'hémophiles, l'un recevant des concentrés amé-ricains, l'autre des concentrés écossais. L'étude conclut qu'il n'y a pas un vecteur de la maladie spécifique aux produits américains.

2 décembre

« CDC Update : Acquired immunodeficiency syndrome AIDS among patients with hemo-philia-United States », MMWR, 32, 613-614.

Enquête sur 116 centres de traitement d'hémophiles : premier cas diagnostiqué en septembre 1981, six cas en 1982, vingt et un cas au 30 novembre 1983.

1984

12 janvier

J.W. Curran et al., « Acquired immuno-deficiency syndrome AIDS associated with transfusions », The New England Journal of Medicine, 310, 69-75.

Sur les 2 157 patients atteints de sida reportés par le CDC en août 1983, 3 % ne présentent pas de facteurs de risque reconnu. Sur ceux-ci, 28 % ont cependant reçu des dérivés sanguins dans les cinq années précédentes.

Février

P. Gascon et al., « Immunologic abnor-malities in patients receiving multiple blood transfusions », Annals of Internal Medicine, 100, 173-177.

L'exposition chronique à des antigènes étrangers peut être associée à des anomalies des fonctions immunologiques, mais les patients transfusés de manière chronique n'ont pas le même profil immunologique que beaucoup d'homosexuels infectés. Ces anomalies doivent donc être interprétées avec prudence.

Avril

B.L. Evatt et al., « The Acquired immu-nodeficiency syndrome in patients with hemophilia », Annals of Internal Medicine, 100, 499-504.

Etude rétrospective ; cas de sida chez des hémophiles dès janvier 1982. Le délai de latence après contamination est estimé à deux ans et demi.

30 juin

A.L. Bloom, « Acquired immunodeficiency syndrome and other possible immunological disorders in European haemophiliacs », The Lancet, 1452-1455.

Onze cas de sida sur 13 000 hémophiles européens étude portant sur 65 % des patients traités de dix-huit pays.

« Au regard de l'immense bénéfice que les hémophiles ont tiré des concentrés, les praticiens sont naturellement réticents à abandonner ces produits, aux dangers hypothétiques, en l'absence de produits alternatifs ayant prouvé leur innocuité. Cette attitude pourrait changer au vu d'informations supplémentaires ».

Sur les 135 praticiens interrogés, vingt-trois ont diminué la prescription de produits sanguins américains, sept l'ont stoppée tout à fait.

7 juillet

M. Melbye et al., « High prevalence of Lym-phadenopathy virus LAV in European haemophiliacs », The Lancet, 40-41.

Vingt-deux hémophiles danois testés pour les anticorps anti-LAV : 64 % sont clairement positifs. Danger des importations de sang ou de concentrés provenant des Etats-Unis.

18 août

R.B. Ramsey et al., « Antibody to lympha-denopathy-associated virus in hemophiliacs with and without Aids », The Lancet, 397-398.

72 % d'hémophiles asymptomatiques traités à domicile en Georgie ont des anticorps anti-LAV. Haut risque chez les patients utilisant des concentrés de facteurs VIII.

Septembre

J.-F. Bach, « Sida, transfusion et hémo-philie, une relation encore mystérieuse », Revue française de transfusion et immuno-hématologie, septembre 1984, XXVII, 455-458.

Les cas d'immunosuppression trouvés chez des hémophiles peuvent être rattachés à deux explications : 1 l'hypothèse virale stricte ; 2 l'hypothèse immunologique pure.

1er septembre

R. Cheingsong-Popov et al., « Prevalence of antibody to human T-lymphotropic virus type III in Aids and Aids risk patients in Britain », The Lancet, 477-480.

97 % des patients atteints de sida ont des anticorps dirigés contre le HTLV III et contre le LAV deux appellations du virus responsable du sida. Ces données confirment l'association étroite entre le HTLV III et le sida. « Toutefois il serait imprudent de présumer que le sida se développera nécessairement chez tous les sujets séropositifs ».

29 septembre

J.A. Levy et al., « Recovery and inactivation of infectious retroviruses added to factor VIII concentrates », The Lancet, 722-723.

Un essai de chauffage prolongé à 68 °C confirme l'inactivation des rétrovirus. « De l'adoption de cette procédure dans la fabrication des concentrés de facteur VIII devrait résulter un matériel exempt de ces virus infectieux. »

5 octobre

« Sida, rapport sur la situation en Europe au 15 juillet 1984 », Weekly Epidemiological Record, 40, 305-307.

Total de douze cas de sida chez les hémophiles en Europe dont cinq en Allemagne fédérale, trois en Espagne, deux en France et deux au Royaume-Uni. S'y ajoutent deux cas transfusionnels en France.

22 octobre

Situation du sida en France. BEH 41/84

Bilan France : deux cas de sida chez des hémophiles et trois cas transfusionnels. Le BEH considère le risque de contamination dû à la transfusion comme très minime, mais incite à renforcer le contrôle des donneurs.

26 octobre

« CDC Update : Acquired immunodeficiency syndrome AIDS in persons with hemophi-lia », MMWR 33, 589-91.

Cas de sida reportés chez les hémophiles aux Etats-Unis : un en 1981, huit en 1982, quatorze en 1983, vingt-neuf en 1984.

Soit cinquante-deux cas au 15 octobre 1984.

L'occurrence de neuf cas sans aucun risque connu en dehors de l'utilisation de concentrés de facteur VIII implique que ces produits sont des vecteurs potentiels de l'infection.

Le CDC reprend les recommandations de la Fondation nationale de l'hémophilie du 13 octobre précédent sur l'utilité des concentrés traités par la chaleur et estime que « l'usage des facteurs concentrés non chauffés devrait être limité ».

22 novembre

L.W. Kitchen et al., « Aetiology of Aids-antibodies to human T-cell leukaemia virus type III in haemophi-liacs », Nature, 312, 367-369.

Contamination massive des patients du centre d'hémophilie de Worcester Massachusetts. Pourcentage d'anticorps retrouvés chez les asymptomatiques : 64 % 53 % sur des échantillons prélevés avant 1984, 94 % sur des échantillons prélevés durant 1984.

1er décembre

L.G. Gürtler et al., « Increase in prevalence of anti-HTLV III in haemophiliacs », The Lancet, 1275-1276.

Douze cas de sida rapportés chez les hémophiles européens.

Les tests chez les hémophiles en Bavière révèlent que 53 % sont positifs en 1984.

22 décembre

« Blood transfusion, hemophilia and Aids », Editorial, The Lancet, 1433-1435.

Des incertitudes subsistent sur la signification de la séropositivité :

« Les anticorps ne sont pas nécessairement protecteurs [...] même si un test positif n'est pas un diagnostic de sida [...]

Un test positif n'indique pas nécessairement une protection. »

Taux d'anticorps chez les hémophiles : 53 % en Allemagne, 32 % au Royaume-Uni, 72 % aux Etats-Unis 94 % dans une étude récente. Danger des concentrés américains.

Chauffage : « Puisque le HTLV III est relativement sensible à la chaleur, le chauffage des concentrés comme prescrit pour les hépatites est une procédure qui doit être rapidement introduite ».

« L'efficacité clinique [des concentrés chauffés] vis-à-vis du sida et des séroconversions doit être étudiée sur des patients non exposés. » « La gravi-té du sida mérite une approche pragmatique et il est raisonnable de recourir auxproduits chauffés pour les hémophiles. »

1985

19 janvier

A.G. Bird et al., « Haemophilia and Aids », The Lancet, 162-163.

Les auteurs sont en désaccord avec l'éditorial précédent recommandant de passer au facteur VIII chauffé.

L'article souligne les incertitudes qui demeurent sur la sensibilité du virus aux procédures de chauffage et souligne les dangers « inconnus mais très réels » des techniques de chauffage : formation d'anticorps anticoagulants aux effets irréversibles. Les auteurs proposent que les séronégatifs reçoivent le plus tôt possible des produits anglais et chauffés et les séropositifs, étant donné qu'on n'est pas sûr qu'il existe un risque de surinfection, des concentrés anglais non chauffés.

26 janvier

B. Spire et al., « Inactivation of lympha-denopathy-associated virus by heat, gamma rays, and ultraviolet light », The Lancet, 188.

Le chauffage à 56 °C pendant 20 minutes d'échantillons viraux de LAV entraîne une inactivation à 100 %. Le LAV est donc sensible à la chaleur, comme les autres rétrovirus. Ces données ne peuvent cependant être extrapolées aux produits lyophilisés puisque ces expériences sont conduites en milieu liquide.

2 février

C. Rouzioux et al., « Absence of antibodies to Aids virus in hemophiliacs treated with heat-treated factor VIII concentrate », The Lancet, 271.

Un essai montre que chez dix-huit patients traités par des concentrés chauffés Hemophil T Hyland on n'observe aucune séroconversion, tandis que l'on déplore cinq séroconversions chez vingt-neuf patients traités par des concentrés non chauffés.

18 février

Situation du sida au 1er janvier en France. BEH N° 6.

France : deux cas de sida chez les hémophiles, deux cas chez les transfusés. Annonce la mise au point de tests sérologiques bientôt utilisables. Reprend des recommandations du CDC du 11/1/85 concernant les précautions que doivent prendre les individus susceptibles d'être atteints par le virus LAV : « On devra s'abstenir de tout don de sang, de plasma, d'organes, de tissus ou de sperme ».

22 février

J. Jason, « Immune Status of blood product recipients », JAMA, 253, 1140-1145.

Anomalies immunitaires retrouvées chez les malades ayant reçu des concentrés.

6 avril

J.-P. Allain et al., « The case for heat-treated products », The Lancet, 814-815.

Etude du produit chauffé Hémophil T de Hyland Travenol chez le lapin et chez six patients. Aucun des receveurs n'a montré d'anomalie immunologique ni de réaction clinique. D'autre part, chez vingt et un malades traités exclusivement par ce produit chauffé, un seul a développé des inhibiteurs ce qui est compatible avec les 10-15 % attendus en cas d'hémophilie sévère.

21 juin

« World Health Organisation Workshop : Conclusions and recommendations on AIDS », JAMA. Leads from the MMWR, Vol. 253, 3385-3391.

Suite au congrès d'Atlanta 5-17 avril, l'OMS recommande l'usage des produits chauffés, de dépister tous les donneurs et de ne pas transfuser les unités positives.

Octobre

« Aids-hemophilia French study group. Immunologic and virologic status of multitransfused patients : role of type and origin of blood products », Blood, 66, 896-901.

Etude coordonnée par Jean-Pierre Allain. Sur 425 patients en France multitransfusés asymptomatiques, la prévalence globale des anticorps est de 45 %. Les taux le plus élevés sont observés chez les hémophiles qui reçoivent des concentrés de facteur VIII importés des Etats-Unis. Un taux intermédiaire est trouvé chez les patients traités par des concentrés d'origine locale plasmas prélevés en France, le plus faible taux étant chez ceux qui reçoivent des globules rouges lavés.

CHRONOLOGIE INSTITUTIONNELLE
1982

Juin

Un « groupe de réflexion et de coordination » est constitué à Paris. Il comprend notamment le responsable des applications cliniques au CNTS, le Dr Brahman Habibi.

Novembre

Dans la revue L'Hémophile, un éditorial du président de l'AFH reproche aux responsables de la transfusion sanguine de ne pas satisfaire entièrement les besoins des hémophiles français en concentrés et réclame un accroissement des importations.

2 novembre

La NHF américaine demande aux fabriquants de concentrés et aux organismes collecteurs d'exclure les donneurs appartenant à des groupes à risque.

Décembre

Le BGA allemand publie une note soulignant qu'aux Etats-Unis l'épidémie ne touche pas seulement les homosexuels, les toxicomanes et les immigrés haïtiens mais aussi les hémophiles « utilisateurs de facteur VIII » et indiquant l'hypothèse « qu'un agent infectieux inconnu se transmet de manière analogue à l'hépatite B, donc aussi par le sang et les dérivés sanguins, par les muqueuses et les contacts intimes1 ».

17 décembre

La firme américaine Alpha Therapeutics exige que tous ses donneurs déclarent ne pas appartenir à l'un des trois groupes à risque.

Fin décembre

Communiqué de la Croix-Rouge américaine : « L'augmentation du nombre d'hémophiles contaminés par le sida est suivie avec une intense préoccupation ». Le Dr Alfred J. Katz, directeur du « programme sang » de la Croix-Rouge américaine, annonce l'intention de celle-ci de « lancer la production de cryoprécipités, fraction plasmatique extraite du plasma d'un petit nombre de donneurs, comme alternative au facteur VIII ».

1983

La Belgique et la Finlande renoncent aux concentrés, au profit des cryoprécipités2.

4 janvier

Réunion au CDC, à Atlanta, avec les représentants des autorités sanitaires, de la Croix-Rouge et de l'industrie pharmaceutique. L'idée de stériliser les concentrés par la chaleur, appliquée depuis 1981 par la firme allemande Behring, filiale de Hoechst, afin d'inactiver le virus de l'hépatite B, est brièvement discutée pour être écartée. Après débat, aucune décision n'est prise pour écarter les donneurs à risque.

14 janvier

Réunion de la NHF à New York, avec les principaux fabricants de facteur VIII. La discussion reprend sur l'opportunité de chauffer les concentrés. Malgré un rapport de la firme Cutter, filiale américaine de Bayer, concluant qu'il était « logique, même sans données réelles, qu'un produit chauffé soit potentiellement plus sûr qu'un produit non chauffé », la discussion n'aboutit pas.

Février

La revue L'Hémophile publie une « Lettre ouverte aux hémophiles » du Pr Jean-Pierre Soulier, directeur général du CNTS.

Il conseille une plus large utilisation des cryoprécipités, qui permettrait selon lui l'autosuffisance. Il met en garde contre « de mystérieuses affections à virus [qui] pourraient éventuellement être transmises par les fractions provenant de plasma commercial... » et donne cet avertissement : « Les hémophiles français feraient peut-être bien de tempérer quelque peu leur enthousiasme pour ces produits d'importation, provenant de plasmas issus de mercenaires exposant plus que d'autres aux transmissions d'agents viraux ».

février

La firme américaine Travenol-Hyland, filiale de Baxter, commercialise son premier facteur VIII chauffé, l'Hemophil T méthode de chauffage à sec. Le CNTS importe les premiers lots d'Hemophil T le 23 février.

24 mars

Les autorités américaines donnent des instructions pour écarter les donneurs à risque.

10 mai

Travenol-Hyland adresse une lettre au Dr Michel Garretta, directeur général adjoint du CNTS. Elle énumère les mesures prises pour éliminer les groupes à risque de sa population de donneurs. Elle dit avoir rappelé tous les produits issus de pools contenant le plasma d'un donneur qui s'est révélé suspect. Elle fait part de son intention de convertir le plus vite possible la totalité de sa production en facteur VIII traité par la chaleur3.

24 mai

Une lettre circulaire aux donneurs signée du Pr Soulier et un questionnaire à remplir sont envoyés à tous les donneurs du CNTS. Elle souligne que le risque de transmission du sida ou d'hépatite virale est accru :

1 chez les homosexuels masculins et de façon générale chez tout individu ayant eu des rapports sexuels multiples avec de nombreux partenaires ;

2 chez les sujets qui utilisent des drogues par voie injectable ;

3 chez certains sujets ayant séjourné en zone d'endémie : les Caraïbes, et plus spécialement Haïti, la Côte Ouest, le sud des Etats-Unis, l'Afrique équatoriale.

En réaction, un article du quotidien Libération paraît le 17 juin, sous le titre : « Les pédés, groupe sanguin indésirable » et accuse le Pr Soulier de « dérapage discriminatoire ».

4 et 5 juin

Devant l'Assemblée générale de l'AFH, présidée par le Pr Jean Bernard, le Pr Soulier évoque le danger des produits importés et recommande à nouveau de n'utiliser que des cryoprécipités.

L'AFH ne suit pas. Sa commission médicale conclut que « le risque éventuel de sida, évalué objectivement, n'est pas de nature à modifier les thérapeutiques actuelles4 ».

9 juin

Un rapport présenté par le Dr Habibi à la CCTS fait état de six cas suspects parmi les hémophiles, dont un proche du sida déclaré. Recommandations du rapport :

1 chercher les moyens d'identifier les donneurs à risque ;

2 limiter les indications de concentrés ;

3 atteindre l'autosuffisance nationale en réduisant et arrêtant à terme les importations5.

20 juin

Circulaire signée par le Pr Jacques Roux, directeur général de la Santé, insistant sur la nécessité de sélectionner les donneurs recherche de signes suspects et interrogatoire pour déterminer une appartenance éventuelle aux populations à risque et demandant de développer l'effort d'autosuffisance nationale pour éviter le recours aux produits importés. Cette circulaire a été jugée discriminatoire parce qu'elle désignait des « groupes à risque »..

23 juin

Recommandation du Comité des ministres du Conseil de l'Europe :

1 exposer le receveur à un nombre minimal de dons de sang ;

2 parvenir au niveau national à l'autosuffisance avec des donneurs bénévoles non rémunérés ;

3 informer les donneurs pour éviter les dons émanant d'individus appartenant à un groupe à risque ;

4 informer les médecins des risques potentiels de l'hémothérapie et des moyens de les réduire6.

29 juin

Trois recommandations du Conseil médical de la WHF, réuni à Stockholm :

1 Il n'existe pas à l'heure actuelle de preuves suffisantes pour recommander une modification du traitement des hémophiles. Celui-ci doit être poursuivi avec tous les produits sanguins disponibles, sous la responsabilité et le jugement de chaque médecin ;

2 des études sont à réaliser d'urgence pour aboutir à une meilleure définition du rapport risque/avantages des différents modes de traitement ;

3 une attention particulière doit être apportée à la sélection des donneurs7.

Juillet

Margareth Heckler, ministre américain de la Santé, donne son sang à la Croix-Rouge et déclare : « Je voudrais assurer le peuple américain que nos stocks de sang sont purs à 100 % ».

4 juillet

Japon : le ministère de la Santé envisage d'importer des produits américains chauffés, mais ne donne pas suite, en partie pour protéger l'industrie japonaise.

Septembre

Une étude est lancée, sous la direction du Dr Jean-Pierre Allain, responsable du département de recherche clinique du CNTS, sur l'immunité et l'état virologique de 425 polytransfusés et hémophiles vivant en France.

Le CTS de Strasbourg arrête les collectes en prison.

20 octobre

Le laboratoire Immuno Autriche propose au CNTS sa technique de chauffage des produits sanguins méthode à l'état liquide8.

25 octobre

Réunion à Bonn des représentants des administrations de santé, de l'ordre des médecins et des associations médicales : « La propagation n'est pas assez significative pour mettre en place de nouvelles réglementations en vue de protéger la population ».

Novembre

Le Pr Soulier préconise de recourir aux produits chauffés et de les tester9.

3 décembre

Le CNTS signe avec la firme autrichienne Immuno une promesse d'agrément pour un échange de technologie sur des produits chauffés.

1984

13 janvier

Une note de la direction de l'administration pénitentiaire aux directeurs régionaux des services pénitentiaires et aux chefs d'établissements pénitentiaires recommande « d'augmenter le rythme des collectes dans les grands établissements ».

Février

Cutter Etats-Unis commercialise à l'export son facteur VIII chauffé à sec.

23 mars

Le CNTS décide de lancer deux protocoles destinés à comparer les produits chauffés et non chauffés.

Fin mars

Bilan de l'étude lancée en 9/83 par J.-P. Allain : 47 % des hémophiles testés sont séropositifs.

11 mai

Le LNS approuve l'Hemophil T de Travenol-Hyland.

2 juin

Assemblée générale de l'AFH. La commission médicale considère que les complications transfusionnelles sont avant tout hépatiques et estime que le risque de sida est très faible10.

Juillet

Le CTS de Strasbourg met au point son propre procédé de chauffage, avec l'aide, gratuite, de Travenol11.

Août

Le comité médical de la WHF, auquel le Dr J.-P. Allain participait, adopte cette résolution : « Le traitement de l'hémophilie doit se poursuivre avec les produits disponibles quels qu'ils soient »12.

Septembre

Numéro spécial de la Revue française de transfusion et immunohématologie13. 1 Publication des résultats de l'étude pilotée par J.-P. Allain.

2 « Si le sida ne représente pour l'instant chez l'hémophile qu'un risque faible, la fréquence élevée d'anomalies infracliniques est très préoccupante... Cependant cela ne doit pas remettre en cause les nombreux bénéfices liés au traitement substitutif précoce et intensif et au traitement prophylactique » Laurian et al..

3 Le CTS de Lille constate une absence d'anomalies immunologiques chez 115 hémophiles traités uniquement avec des fractions préparées localement à Lille Huart et al..

4 Une enquête montre que la circulaire du 20 juin 1983 est mal appliquée par de nombreux centres Saleun et al..

Octobre

Le CTS de Lille met en oeuvre sa propre technique de chauffage et rapatrie les produits non chauffés14..

La revue L'Hémophile écrit : « Le risque d'être atteint de sida demeure pour un hémophile extrêmement faible. [...] Il n'y a aucune corrélation entre l'apparition du sida et la quantité des concentrés injectés. »

13 octobre

La NHF américaine se prononce pour l'utilisation de produits chauffés, sauf exceptions justifiées par l'urgence.

Novembre

Dépistage obligatoire en Nouvelle-Zélande.

22 novembre

Rapport à la CCTS du Dr Jean-Baptiste Brunet, épidémiologiste de la DGS : « Des études [...] ont pu prouver une inactivation du virus après un chauffage des dérivés sanguins 68 °C pendant 24 heures » ; et « Le CDC conclut que l'usage des dérivés non traités par la chaleur devrait être limité ».

Jean Ducos, président de la CCTS et directeur du centre de Toulouse, estime cependant que l'efficacité des produits traités par la chaleur, dont certaines propriétés ont pu être détruites, reste à prouver. Cette date du 22/11/84 sera choisie par le Conseil d'Etat comme point de départ de la faute et de la responsabilité de l'Etat à l'égard des hémophiles.

Décembre

Le BGA allemand écarte l'idée d'imposer le recours aux produits chauffés, mais recommande le dépistage de tous les donneurs.

1985

Début janvier

L'AABB américaine demande que les tests de dépistage en cours de validation soient appliqués à tous les dons de sang. La FDA recommande d'effectuer des tests de vérification par la technique Western Blot sur tous les tests positifs.

9 janvier

Le Dr François Pinon, directeur du centre de transfusion de l'hôpital Cochin, fait savoir par une lettre circulaire que 6ä des dons de sang recueillis dans son établissement sont positifs pour les anticorps anti-VIH. Il conseille « de réduire, voire d'éviter chaque fois que cela sera possible, la prescription des produits sanguins à usage thérapeutique15 ».

16 janvier

Lettre circulaire de la DGS insistant sur l'importance de la circulaire du 20 juin 1983 et avertissant que « la responsabilité des établissements de transfusion sanguine qui n'appliqueraient pas les mesures de prévention recommandées pourrait être mise en cause ».

24 janvier

Accord entre le CNTS et Immuno : le CNTS produira des fractions chauffées sous licence Immuno.

Fin janvier

Le CTS de Lille soumet ses produits chauffés au contrôle de l'Institut Pasteur16.

1er février

Les firmes présentes sur le marché allemand informent le BGA qu'elles font basculer leur production de facteur VIII vers des produits traités par la chaleur. Mais les stocks de produits non chauffés ne sont pas rappelés.

11 février

Dépôt d'une demande de commercialisation du test Abbott Etats-Unis auprès du LNS.

14 février

Dans une lettre à Nature, Peter L. Page Croix-Rouge américaine suggère que les tests en cours de validation ne soient pas approuvés par la FDA tant qu'on n'aurait pas de garantie sur le nombre de faux positifs et tant que la signification de la séropositivité ne serait pas établie.

28 février

Dépôt d'une demande de commercialisation du test Elavia/Diagnostics Pasteur Sanofi auprès du LNS

Mars

Dépistage et chauffage obligatoires en Autriche.

2 mars

La FDA américaine approuve le test Abbott. Chaque test positif doit être validé par un test utilisant la technique Western blot. La FDA autorise d'autres tests dans les jours qui suivent : Electronucleonics, Litton-Bionetics... Le dépistage se généralise aux Etats-Unis.

7 mars

Une réunion de la CSTS examine les résultats de Cochin rapportés au nom de la DGS par J.-B. Brunet.

10 mars

La Grande-Bretagne autorise les tests Abbott, Dupont et Genentech. Controverse autour du test Abbott, considéré comme donnant trop de faux positifs.

12 mars

Note du Dr Brunet à Jacques Roux, directeur général de la Santé :

« Si la proportion de donneurs LAV+ retrouvée dans l'enquête Cochin est représentative de la situation parisienne 6 ä, il est probable que tous [souligné dans le texte] les produits sanguins préparés à partir de pools de donneurs parisiens sont actuellement contaminés17 ».

Avril

Note du Dr Brunet au Dr Claude Weisselberg, conseiller de M. Edmond Hervé, secrétaire d'Etat à la Santé, discutant l'opportunité d'un dépistage systématique.

Fin avril

Le LNS reçoit des compléments d'information qu'il avait demandés à Abbott et à Diagnostics Pasteur. A partir de cette date le LNS répond favorablement à tous les centres qui lui demandent l'autorisation d'utiliser l'un ou l'autre test ainsi que le test Organon.

Mai

Dépistage obligatoire aux Pays-Bas et en Norvège.

2 mai

Le ministère de la Santé accepte que le test Abbott ne soit agréé par le LNS qu'une quinzaine de jours après le test Pasteur18.

6 mai

Réunion des responsables américains de la santé au CDC Atlanta : « les fabricants rapportent que des facteurs non chauffés continuent d'être utilisés, bien qu'il n'y ait pas de rupture de stock de produits chauffés19 ».

7 mai

Note de Gérard Jacquin, directeur bioindustriel du CNTS à Michel Garretta : « Cryoprécipités : tentative de ventes à l'export ou sur le marché français au rabais afin de diminuer le plus rapidement possible le stock de produits non chauffés20 ».

9 mai

Réunion interministérielle présidée par le professeur François Gros, conseiller scientifique du Premier ministre Laurent Fabius. Compte rendu : « Il n'est pas prouvé que la généralisation du test soit une mesure positive en termes de santé publique :

1. Les cas de sida post-transfusionnel sont somme toute assez rares [...]

2. La généralisation du test n'aurait aucun effet de freinage de la maladie puisque seulement quelques cas seront évités ». Cependant cette généralisation « paraît difficile à éviter » parce que : « D'une part, l'opinion est alarmée et la pression des médias considérable. D'autre part la décision a été prise dans quelques grands pays étrangers... ». Par ailleurs : « Il est à craindre que si aucune disposition n'est prise pour protéger le test français, celui-ci soit complètement exclu du marché dès que le LNS autorisera le test américain. Une décision s'impose rapidement car le LNS ne pourra pas retenir très longtemps le dossier d'enregistrement d'Abbott au-delà du 13 mai 1985, date limite donnée à la société, sans courir le risque d'un recours contentieux. »

Enfin le ministère des Affaires sociales et de la solidarité nationale, rejoint en cela par le ministère de l'Economie, des Finances et du Budget, est « opposé à la prise en charge du test par l'assurance maladie, en raison de l'importance des sommes en cause21 ».

Fin mai

Les produits chauffés du CTS de Lille sont certifiés inactivés par le Pr Montagnier22.

29 mai

Réunion interne au CNTS. Compte rendu : « Avec 2 à 3ä de donneurs anti-LAV positifs... et des lots de 1 000 litres, soit 4 000 à 5 000 donneurs, tous nos lots sont contaminés » [...] « C'est aux autorités de tutelle de prendre leurs responsabilités sur ce grave problème et d'éventuellement nous interdire de céder des produits avec les conséquences financières que cela représente »23.

Juin

Une commission d'experts désignée par le BDA allemand conclut que « le risque de transmission de l'agent pathogène du sida par utilisation des fractions coagulantes paraît possible en l'état des connaissances actuelles, toutefois ce risque est, à la lumière des données disponibles, très faible et ne saurait donner lieu à un changement de la thérapie actuellement en vigueur ».

Début de la production industrielle par le CNTS de produits chauffés selon la technique Immuno.

19 juin

Laurent Fabius annonce à l'Assemblée nationale le dépistage obligatoire pour tous les donneurs de sang à partir du 1er août.

Réunion du CNH : « A l'unanimité, le Comité estime qu'il est impératif que ces produits [chauffés] soient mis à la disposition des utilisateurs dans les délais le plus brefs. Une période intermédiaire de quelques semaines, où ces produits coexisteront avec des fractions non chauffées et non encore utilisées, est acceptable dans la mesure où la production de ces fractions non chauffées est arrêtée au niveau des centres de fractionnement, et où il ne s'agit que du délai nécessaire pour les étapes de modification de technologie. Dès maintenant, des fractions chauffées françaises ou d'importation doivent être impérativement distribuées aux hémophiles anti-LAV négatifs24 ».

20 juin

Réunion de la CCTS. « Il faut savoir que la possibilité de ne pas avoir de lots contaminés est très faible 4,5 x 10-5 dans le cas d'une fréquence de deux pour mille donneurs anti-LAV+, et pour des lots regroupant le plasma de 5 000 donneurs. Il est dans ces conditions indispensable que les hémophiles LAV- soient traités avec des produits chauffés. » La CCTS note que le « CNH s'est déclaré prêt à accepter une phase intermédiaire courte, à condition qu'une limite soit fixée ».

21 juin

Le test Diagnostics Pasteur est agréé par le LNS.

« Mi-85 »

Les producteurs américains mettent fin à la distribution de produits non chauffés26.

Début juillet

Grande-Bretagne : le PHS estime que les tests Abbott et Electronucleonics donnent deux tiers de faux positifs.

Juillet

Après deux ans d'hésitations, le ministère japonais de la Santé autorise les produits chauffés mais n'interdit pas les autres. Cinq firmes continuent à distribuer des produits non chauffés : Baxter Travenol, Bayer...

3 juillet

Une note du CNTS signée B. Habibi définit la distribution de fractions coagulantes durant les mois de juillet et août : « La distribution des concentrés de facteur VIII et de PPSB chauffés aux hémophiles hors protocole doit être assurée si ces malades sont anti-LAV négatifs... Pour les malades connus anti-LAV positifs, les concentrés non chauffés doivent être utilisés jusqu'à l'épuisement des stocks26 ».

5 juillet

Une lettre du Pr Boneu du CTS régional de Toulouse réclame le blocage des fractions non chauffées et l'importation massive de fractions chauffées. « Je suis convaincu qu'il y a là matière à scandale si les médias s'emparent de cette affaire et l'ensemble des médecins transfuseurs et responsables d'hémophiles seront accusés à juste titre de négligence27. »

18 juillet

Italie : loi rendant le dépistage obligatoire. Elle ne sera appliquée que progressivement.

23 juillet

Deux arrêtés :

1 la détection des anticorps anti-LAV doit être pratiquée sur chaque prélèvement de sang à compter du 1er août ;

2 la qualification de « chauffé » est introduite pour un certain nombre de produits sanguins et augmente leur prix de cession. Ces tarifs se substitueront à partir du 1er octobre 1985 aux tarifs des dérivés non chauffés. « Ces dérivés ne seront plus pris en charge par les organismes d'assurance maladie lorsqu'ils auront été prescrits après cette date. »

24 juillet

Le test Abbott est agréé par le LNS.

1er août

Dépistage obligatoire en France pour tous les donneurs. Les produits non chauffés continuent d'être distribués.

Dépistage obligatoire en Belgique.

Fin août

Le PHS britannique valide deux tests de nouvelle génération du néerlandais Organon et du britannique Wellcome, qui diminuent le nombre de faux positifs.

Octobre

Dépistage obligatoire en Grande-Bretagne et en Allemagne. En Grande-Bretagne, le test Abbott est rejeté. Au Danemark qui n'importait pas de concentrés, la direction de la santé décide qu'à dater du 1er janvier 1986 seuls les produits sanguins testés et chauffés seront autorisés. Une période transitoire fut tolérée en 1987.

2 octobre

Circulaire DGS. « La mise en place de la détection systématique des anticorps anti-LAV sur chaque don de sang ne se substitue en aucune façon aux mesures d'exclusion du don qui restent en vigueur. En effet, seule la double exclusion des donneurs à risque et des prélèvements anti-LAV positifs offre, à l'heure actuelle, le maximum de sécurité pour la prévention du sida en évitant la dissémination du virus par voie transfu- sionnelle. » [...]. Par ailleurs, « les concentrés stables "chauffés" doivent se substituer aux produits stables équivalents qui n'ont pas bénéficié d'une inactivation par la chaleur. » [...] « l'application conjuguée des deux arrêtés du 23 juillet doit garantir une complète sécurité transfusionnelle au regard de la transmission éventuelle du sida. » Rappel de tout produit congelé ou cryodesséché préparé avant la mise en oeuvre systématique du test de dépistage.

La firme Mérieux continuera à exporter des produits non chauffés après l'interdiction en France28.

3 octobre

La FDA approuve le test Diagnostics Pasteur.

11 octobre

Note du directeur régional des établissements pénitentiaires à Toulouse, informant les chefs d'établissements que les collectes de sang sont suspendues temporairement dans les établissements pénitentiaires29.

15 octobre

La firme américaine Armour, filiale de Revlon, dont les produits chauffés ont été autorisés par la FDA en 1984, décide d'en poursuivre la vente malgré des études faisant douter que le virus est complètement inactivé par le chauffage 60 °C pendant 10 heures, contre 68 °C pendant 72 heures pour ses concurrents. Elle poursuivra la distribution au Canada jusqu'en novembre 1987.

1er novembre

Dépistage obligatoire au Canada.

1986

En Allemagne, 32 des 84 hôpitaux de Rheinland-Pfalz utilisent des produits non chauffés. La firme Haemoplas continue de vendre des produits non testés jusqu'en 1987.

En Suisse, la Croix-Rouge distribue des concentrés non testés jusqu'en avril.

7-9 juillet

Conférence de consensus des NIH : seuls 20 % à 35 % des séropositifs auront le sida30.

1987

Dépistage obligatoire en Espagne.

Fin janvier

Test Abbott de seconde génération agréé par la FDA.

1988

20 janvier

Circulaire DGS : mise en place des centres de dépistage anonyme et gratuit.

Mars

Dépôt des premières plaintes contre le CNTS.

Avril

La FDA découvre que 56 centres de la Croix-Rouge américaine ne respectent pas les règles imposées pour sélectionner les donneurs.

1993

10 février

Arrêté du ministère de la Justice interdisant les collectes de sang dans les établisse
1 E. Koch, Sang rouge, sang noir, chronique d'un scandale médical, Frison-Roche, 1992. Même référence pour les autres donn&eacu

 
 
 
initiation musicale toulon  

LA ROBOTIQUE MÉDICALE ET LA TÉLÉMÉDECINE

 

 

 

 

 

 

 

Transcription de la 519e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 16 janvier 2004

Jacques Marescaux « La robotique médicale et la télémédecine »


Chirurgien universitaire de formation, j'aurais pu reproduire toute ma carrière ce que mes maîtres m'avaient enseigné. Toutefois en 1992, au cours d'une conférence donnée à Washington par le colonel chirurgien Rick Satava, le directeur scientifique de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), ma vision de la chirurgie a été bouleversée. A cette occasion il expliqua comment le chirurgien tel qu'on le connaît actuellement, que ce soit avec son scalpel ou en chirurgie mini invasive avec sa caméra, allait disparaître. Il a insisté sur le développement phénoménal des moyens de l'information dans le domaine chirurgical. Il nous fit découvrir le concept de clone digital du malade, fabriqué à partir de ses images médicales (scanner, IRM), qui pourrait être transformé en matière vivante, et opéré de façon simulée, avant la véritable intervention. Cette dernière pourrait alors se faire au moyen de la chirurgie assisté par ordinateur ou la robotique. Grâce à la robotique qui implique une distanciation du chirurgien avec son patient, Rick Satava imaginait alors la mise au point de la chirurgie à distance, la téléprésence.

C'est donc à partir de 1992 que j'ai voulu développer ces idées. En France, les structure de l'INSERM ou du CNRS ne permettaient pas de débloquer un budget assez important pour un tel projet. Nous avons décidé de créer au centre des hôpitaux universitaires de Strasbourg un institut totalement dédié, d'une part à la recherche dans les nouvelles technologies et d'autre part à la formation de ces nouvelles technologies. Nous avons donc fait appel à des financements privés. Le sponsoring dont nous avons bénéficié jusqu'à présent était presque uniquement américain, même si nous bénéficions maintenant d'importants fonds européens, et notamment allemand.

L'IRCAD (institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif, http://www.eits.org/) a ouvert à Strasbourg en 1994. Nous disposons de 8 000 m² de modernité au service de l'avancement de la chirurgie, avec notamment un bloc opératoire expérimental comportant dix-sept tables d'opération, des salles de visioconférence, etc.

L'ère dite industrielle de la chirurgie est aujourd'hui révolue depuis une dizaine d'année, et a laissé place à l'ère de l'information. Cette chirurgie conventionnelle est remplacée par des techniques de thérapies mini invasives, celles-ci étant le moins agressives possibles pour le patient. L'arrivée de l'informatique et de la chirurgie assistée par ordinateur, modifie la pratique et la conception de l'acte chirurgical puisqu'il sera de plus en plus obligatoire de simuler la veille de l'intervention l'opération sur le clone digital du malade. Le développement toujours plus poussé de ces applications conduit aux notions de chirurgie à distance (la téléchirurgie) et de robotique.

Les trois révolutions majeures dont nous avait parlé Rick Satava en 1992 sont le développement des nouveaux moyens de télécommunication (la télémédecine appliquée à la chirurgie, pour le transport des données réelles), l'échange de données virtuelles (qui permettent la fabrication du clone digital) et enfin l'échange du geste chirurgical puisque le geste est tout aussi crucial en chirurgie que l'intelligence ou la connaissance.

La télécommunication

Le développement de la communication d'informations réelles a un nombre d'applications incalculable dans le domaine de la chirurgie.

Les systèmes de visioconférences nous permettent d'être en permanence en liaison avec le monde entier à coût réduit. La diffusion des savoirs en est ainsi accélérée. Auparavant, pour transmettre une nouvelle technique, le chef de clinique devait se déplacer, parfois une semaine à l'étranger, tout d'abord pour l'apprendre, avant ensuite de la propager lentement. Aujourd'hui, grâce aux transferts audio et vidéo des données, toute nouvelle technique peut être étudiée dès le lendemain de sa mise en Suvre par un très grand nombre de personnes, dans le monde entier. Le télé-training, l'entraînement du chirurgien a aussi été développé sur ce modèle puisque nous disposons à l'IRCAD d'un bloc chirurgical expérimental mis en place grâce à Alcatel comportant dix-sept tables d'opération. Chacune de ces tables présente un moniteur sur lequel les chirurgiens peuvent suivre le déroulement de leur opération puisque depuis 1988 ont été mises en place des techniques de chirurgie dite mini invasive, qui consistent à introduire une caméra dans la zone à opérer, permettant ainsi de réaliser l'intervention sans avoir à ouvrir le malade. Ces chirurgiens s'entraînent sur des modèles vivants comme par exemple des petits cochons ( minipigs). Si le modèle vivant est encore nécessaire, il devrait bientôt être possible de s'en passer.

La notion de télé-médecine appliquée à la chirurgie signifie qu'il n'y a plus de limite de connexion entres chirurgiens de niveaux d'expérience différents. Un chirurgien débutant effectuant une opération au Canada pourra ainsi profiter de l'expérience et des conseils d'un chirurgien senior ayant déjà réalisé la même opération plusieurs centaines de fois, c'est le télé-mentoring. Ce dernier peut par exemple pointer sur son écran de contrôle des organes, qui seront de la même manière pointés sur l'écran du chirurgien en train d'opérer. Nous disposons aussi à l'IRCAD d'un auditorium dans lequel une opération peut être présentée sur l'écran principal, et commentée en même temps grâce au système de visioconférence par quatre experts internationaux sur quatre écrans latéraux. Tous ces systèmes de télécommunications classiques se font par téléphone et ont des limites facilement imaginables : décalage horaire, nécessité d'une infrastructure lourde, avec des techniciens audiovisuels,... C'est la raison pour laquelle nous avons en 1997 utilisé Internet pour développer une université internationale d'entraînement et d'éducation du chirurgien. Ce site (http://www.websurg.com/) est accessible à tous, gratuit, et multilingue. Il utilise très largement le multimédia pour présenter les différentes étapes d'une opération, les instruments à préparer, à utiliser,... et les interventions sont commentées par les plus grands experts mondiaux. Internet a surtout eu un impact considérable sur le public qui s'est emparé de cet outil pour avoir accès aux connaissances médicales. Sur les 930 millions de personnes qui se connectent aujourd'hui régulièrement à Internet, la moitié le font pour recueillir une information médicale.

Le transfert des données virtuelles

La deuxième révolution apportée par l'essor de l'informatique et des télécommunications concerne le transfert de données virtuelles. Il ne faut pas ici considérer le terme virtuel de manière péjorative mais comme la prolongation de nos sens naturels, tels que notre vision ou notre toucher, et cela pour l'amélioration du geste chirurgical. La réalité virtuelle se conjugue de trois manières différentes :

- l'immersion : le fait d'être plongé dans un monde virtuel, par des systèmes de casques sophistiqués par exemple,

- l'interaction : la transformation de l'image en matière, et donc la possibilité de donner au chirurgien l'impression qu'il touche un organe et non plus une image,

- la navigation : le fait de pouvoir tout explorer, par exemple n'importe quel vaisseau sanguin du patient.

Après des années de recherche, nos ingénieurs informaticiens ont mis au point des programmes qui reproduisent en quelques minutes un clone digital tridimensionnel du malade à partir de ses résultats de scanner ou d'IRM. Un organe, un vaisseau ou une tumeur peut alors être simplement coloré sur ce clone digital, ce qui permet au patient d'appréhender et de visualiser la pathologie qui l'affecte beaucoup plus facilement qu'avec le résultat d'un scanner. Cela entraîne aussi une meilleure localisation de la tumeur. Par exemple dans le cas d'une tumeur au foie, si elle est étendue sur plusieurs lobes du foie, la marge de sécurité de la zone à découper pour que le cancer ne reparte pas est dessinée. Le chirurgien peut proposer avec trois points interactifs l'opération à effectuer, et l'ordinateur intègre qu'il restera par exemple 30 % du foie, quantité suffisante pour que l'organe se régénère. Il existe aussi des destructions par radio-fréquence. Dans ce cas une aiguille plantée au centre de la tumeur va chauffer à la manière d'un micro-onde et détruire les tissus alentours. Il est alors crucial que l'aiguille soit placée exactement au cSur de la tumeur et la simulation virtuelle est donc d'une grande aide.

On imagine bien que s'il est possible de simuler un geste aussi simple que de planter une aiguille, la limite avec une opération entièrement robotisée s'estompe. Les techniques développées vont permettre de réaliser l'intervention de manière virtuelle la veille de la véritable opération, en faisant par exemple une laparoscopie virtuelle pour bien appréhender la place des vaisseaux, en décidant où positionner les incisions à faire pour que l'opération soit la moins invasive possible. Le but est dans le futur de mixer l'intervention préparée et la véritable opération. D'autre part, il existe des patients présentant des anomalies anatomiques qui provoquent des accidents lors de l'opération, car telle veine ne devait par exemple pas se trouver à tel endroit. L'exploration du clone digital réduirait nettement la fréquence de tels incidents.

Toutes ces étapes ne représentent que la planification de l'opération. Il faut aller plus loin, c'est-à-dire jusqu'à la véritable simulation de l'intervention. Pour ce faire, des outils ont été mis au point pour développer l'interaction entre le chirurgien et l'organe qu'il opère, et reproduire le toucher qu'il ressent durant l'opération. Lorsque le chirurgien visualise sur son écran le contact avec le foie par exemple, une sorte de gant électronique va lui faire ressentir la consistance et la résistance de l'organe : l'image a été transformée en matière. Bientôt, l'opération virtuelle sera aussi réaliste que l'opération réelle.

Ces logiciels permettent aussi de naviguer à l'intérieur du corps du patient, et de se déplacer par exemple dans ses vaisseaux, ce qui peut permettre d'identifier l'invasion de l'un d'eux par une tumeur. Nous travaillons aussi à la mise au point de la colonoscopie virtuelle pour arriver à identifier automatiquement des polypes du colon, que le logiciel colorerait de manière autonome à l'écran pour les rendre immédiatement apparents au chirurgien. Il est en effet inimaginable qu'un examen aussi invasif que la colonoscopie reste la référence au cours des prochaines années dans la prévention du cancer du colon.

Vers la robotique chirurgicale

Quelles sont les applications de cette réalité virtuelle ? Dans l'idéal le patient se présenterait à l'hôpital et subirait un scanner ou une IRM, pour que son clone digital soit reproduit. L'opération serait alors planifiée, et dans quelques années une opération simulée réaliste deviendrait la règle la veille de l'intervention réelle.

Le futur de la chirurgie réside dans la robotique : le chirurgien et son patient seraient séparés par une interface d'ordinateur. Aujourd'hui, il est uniquement possible de supprimer les imprécisions dues au tremblement. Il est cependant envisageable que le chirurgien devienne demain un véritable metteur en scène : la veille, il simulerait l'opération plusieurs fois pour choisir les meilleurs moment de chaque essai, pour finalement produire le film de l'intervention telle qu'il la souhaite. Ce film serait alors installé dans l'interface de l'ordinateur, et l'intervention se ferait de manière automatique et le chirurgien n'aurait plus que le rôle de superviseur de l'opération.

Cette automatisation a longtemps semblé impossible à part en neurochirurgie ou en chirurgie orthopédique mais il est aujourd'hui clair que la vraie robotique sera un jour possible. Ce qui se fait aujourd'hui n'est en effet pas de la vraie robotique, au sens où le chirurgien contrôle toujours l'interface. Il a deux manettes pour déplacer les instruments et un micro qui commande les mouvements de camera. L'interface améliore donc le geste du chirurgien, le rend le plus parfait possible, mais cela reste de la télémanipulation. C'est ce que l'on appelle la chirurgie assistée par ordinateur.

Toutes les techniques évoquées ici sont extrêmement récentes et ont été développées principalement par les Européens, et notamment les Français. La première opération assistée par ordinateur était une cholécystecomie et elle a été réalisée en 1998 en Belgique. Un américain a exécuté la première opération de gynécologie de cette manière. Le professeur Carpentier a réalisé à Paris en 1999 la première opération cardiaque à l'aide un robot. La première opération urologique assistée par ordinateur (une prostatectomie) a été effectuée par le professeur Abbou. Nous avons en 2001 exécuté la première opération à distance entre New-York et Paris (l'intervention Lindbergh) et une cinquantaine de malades ont été opéré de la même manière, à distance, au Canada. Actuellement tout ce qui est faisable en chirurgie mini invasive peut l'être en chirurgie robotisée, mais personne n'a encore démontré le bénéfice éventuel pour les malades. Pour le moment, cela facilite pour certaines interventions complexes le geste du chirurgien, par exemple pour les pontages coronariens ou la prostatectomie complète pour cancer du fait de l'étroitesse du pelvis chez l'homme. Il est aussi des opérations où l'on opère avec des instruments longs de 30 cm, présentant une extrémité de 3mm où le moindre tremblement du chirurgien se répercute alors de façon beaucoup plus importante sur les organes du patient. Disposer de manettes virtuelles et d'une interface d'ordinateur permet d'annuler tout tressaillement.

Cependant à terme, la finalité de la robotique n'est pas de reproduire la main du chirurgien, mais de lui apporter une intelligence supplémentaire.

Dans notre laboratoire, les ingénieurs informaticiens travaillent dans trois domaines d'application distincts : rendre le robot autonome pour des tâches simples, l'amener à « augmenter » la réalité et développer la téléchirurgie, le partage du geste chirurgical.

Il est imaginable par exemple que le robot puisse faire des sutures de manière indépendante ou qu'il détermine seul où et comment placer les bras du robot pour qu'ils ne se cognent pas. Un logiciel permet de déterminer automatiquement comment déplacer les instruments au cours de l'opération, sans avoir à déplacer la caméra.

L'intelligence phénoménale de cette interface d'ordinateur peut aussi être utilisée pour développer notre perception de la réalité. Nous avons ainsi réalisé en 2004 pour la première fois une opération de chirurgie surrénalienne sur un patient au cours de laquelle les images du clone digital du malade étaient superposées sur notre écran à la même échelle que notre opération. Cela s'est révélé particulièrement pratique dans la mesure où du tissu graisseux empêchait de distinguer précisément vaisseaux et organes. Nous avons donc exécuté l'opération en planifiant avec l'informaticien en temps réel où positionner les instruments pour ne pas abîmer une veine importante qui se trouvait pourtant à moins d'un millimètre de l'endroit sur lequel nous travaillions. C'est ce phénomène que l'on désigne sous le terme de réalité « augmentée ». Dans le futur, il est donc concevable que les chirurgiens pourront voir directement l'organe et les tumeurs en transparence à l'aide d'un casque comme ceux utilisés par les pilotes de chasse en temps de guerre pour voir de l'autre coté d'une montagne par exemple. En chirurgie, cela pourrait être particulièrement utile pour les organes pleins présentant une tumeur dans lesquels on ne peut pas introduire de caméra. Des tests ont été réalisés et une aiguille peut ainsi être placée dans un organe à une précision de 1mm. Si des progrès sont encore à faire, il est toutefois clair que la réalité augmentée n'est plus un rêve, d'autant plus que les logiciels que j'ai mentionnés peuvent être enregistrés sur un simple ordinateur portable.

Une autre difficulté des interventions est le mouvement ininterrompu des organes du fait de la respiration ou des battements de cSur. Nous développons aujourd'hui des outils permettant de bouger l'extrémité de l'instrument au même rythme que la respiration du malade donnée par le respirateur, ce qui aboutit au maintien d'une distance constante entre l'instrument chirurgical et l'organe, ce qui serait autrement impossible.

L'intervention Lindbergh

Le troisième défi auquel se sont attaqués nos ingénieurs est le partage du geste à distance, c'est-à-dire la téléchirurgie. Les premières interventions réalisées par un chirurgien sont moins précises que celles effectuées à la fin de sa carrière. C'est ce que l'on appelle la courbe d'entraînement. L'assistance prodiguée par l'ordinateur permettrait d'éviter que le malade souffre de faire partie des cinquante premiers patients du chirurgien, car un partage du geste avec l'interface augmenterait l'efficacité des résultats des interventions. L'autre opération permise par la robotique est l'intervention à distance. Après l'intervention Lindbergh, le Canada a réalisé un grand nombre d'opération de téléchirurgie car c'est un pays confronté à de très grosses distances où il n'y a souvent pas de spécialistes dans les zones d'intérêt.

Opérer d'un endroit du monde un patient à l'autre bout de la planète était un rêve un peu fou, datant de 1993, dénommé projet MASTER (Minimal Access Surgery Telecommunication and Robotic), constituant surtout un défi technique et non chirurgical. Ce projet européen a été soutenu par les ministères de la Recherche et de l'Industrie. Le problème à résoudre résidait dans la durée de transmission de l'information entre deux points très éloignés, en l'occurrence 600 ms entre New-York et la France. Il est impossible pour le chirurgien de procéder à une opération comportant un tel délai entre ce qu'il voit et ce qu'il fait : s'il se base sur ce qu'il voit sur son écran pour déplacer ses instruments alors qu'entre temps les organes ont légèrement bougé, des accidents très grave peuvent se produire. Deux mois avant notre opération, l'armée américaine avait affirmé qu'une telle intervention était impossible avant cinq ou dix ans, du fait de ce délai incompressible de 600 ms provenant de l'utilisation du satellite pour le transfert d'informations.

Nous avons travaillé avec des ingénieurs pour comprimer les données pour descendre sous la limite de 200 ms. L'intervention Lindbergh a eu lieu en 2001, mais la véritable première expérience a été réalisée en septembre 2000 sur un mini porc. Ce fut un échec complet, du fait de la variation continue du délai de transmission entre 300 et 600ms. Une opération de ce type, facile, dure en moyenne vingt minutes, et elle dura 4h30. Les ingénieurs de France Telecom ont alors réalisé en quelques mois un travail de mise au point remarquable et un an après ce premier échec, nous avions opéré avec succès plusieurs mini porcs, et pouvions opérer le premier patient, en l'occurrence une malade, extraordinaire, qui avait accepté de tenter cette aventure futuriste. Pour réduire le délai de transmission, toutes les informations numériques étaient comprimées à New-York, passées dans une fibre ATM, décomprimées à l'arrivée à Strasbourg, et dès que le geste était effectué, le message repartait dans l'autre sens pour que l'opération soit visible à Manhattan. Nous avions une qualité d'image superbe, et un délai de 130 ms. L'opération s'est déroulée du début à la fin sans l'intervention de l'équipe de Joël Leroy qui se trouvait à Strasbourg, prêt à parer à la moindre défaillance.

Cette opération a eu lieu le 7 septembre 2001, a duré 45 minutes, et a fait l'objet de 450 articles malgré la très lourde actualité internationale et bien que la conférence de presse prévue le 11 septembre ait été annulée. L'intervention a même été acceptée pour publication dans le journal scientifique le plus réputé, Nature, alors que ce journal avait auparavant toujours refusé de publier des articles chirurgicaux. Les reviewers (les personnes qui décident si l'article est accepté ou refusé) ont même argué qu'il s'agissait d'une énorme mutation dans le monde chirurgical, notamment du point de la vue de la suppression de l'individualisme des médecins.


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MÉDICAMENTS ET CHIMIE

 

Transcription [1] de la 617e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 24 juin 2006 revue par l'auteur.

Bernard Meunier : « Médicaments et chimie : un brillant passé et un vrai futur »

Très tôt l'homme a utilisé les produits de la Nature pour traiter les différentes maladies auxquelles il était confronté. Les premiers traités de chimie thérapeutique moderne, décrivant la relation entre un composé chimique et une activité thérapeutique, datent maintenant de plusieurs siècles. Nous allons présenter l'histoire commune de la chimie et du médicament sur plusieurs millénaires avant de décrire les enjeux des thérapies du futur.
Un médicament est une substance possédant des propriétés curatives ou préventives destinées à guérir, soulager ou prévenir des maladies. Il contient à la fois la notion de guérison et de prévention. « Médicament » et son synonyme « remède » viennent du mot latin « mederi » qui signifie « soigner ».
Le mot « médicament » se traduit en anglais par « medication » et plus souvent par « drug », notamment en américain. Le terme « drug » ou « drogue » provient du latin « drogia ». Il est ambigu puisqu'il désigne aussi bien un médicament qu'une substance illicite. En français, il ne désigne plus une préparation magistrale d'un pharmacien d'officine, ou d'un droguiste traditionnel, depuis une cinquantaine d'années.

Les premières sources de médicament sont les plantes. Les chimistes vont très rapidement s'y intéresser. L'homme de Neandertal était déjà un spécialiste de l'utilisation des plantes, y compris pour un usage médicinal. Ainsi des roses trémières ont été retrouvées dans la bouche de néandertaliens qui avaient été ensevelis dans les tombes de la grotte d'Amuci (Israël) [2]. La rose trémière était un analgésique utilisé dans le traitement des infections buccales.
La médecine traditionnelle chinoise est la plus ancienne. Les premières traces écrites de la médecine traditionnelle chinoise remontent à près de 3 000 ans avant J.-C. Le légendaire empereur Shan-Nung avait un herbier de plantes médicinales (2 900 avant J.-C.) ; mais on retiendra surtout l'herbier de Li Shih-Chen de 1578 dont une version anglaise est disponible depuis 2002 sous le titre « Chinese medicinal herbs ».
Les Égyptiens utilisaient également les plantes comme médicaments. Un archéologue allemand, Georg Ebers, de l'université de Leipzig a découvert au XIXème siècle à Louxor un document extraordinaire qu'on appelle « le papyrus d'Ebers ». Ce papyrus qui fait 20 mètres de long est conservé à la bibliothèque de l'université de Leipzig. Cette sorte de codex datant du siècle d'Aménophis Ier (1525-1504 avant J.-C.) est une liste de près de 870 plantes à usage médical.
Hippocrate (né en Grèce sur l'île de Cos en 460 avant J.-C.) recense plus de 400 plantes pour traiter les maladies. Le terme grec « pharmakon » qui a donné « pharmacie » en français a un double sens. Il désigne à la fois la substance qui guérit ou remède, et le poison. En effet, les produits d'origine naturelle ne sont pas inoffensifs. Les grecs savaient parfaitement qu'en fonction de la dose un même produit pouvait avoir une activité curative qui allait soulager le malade ou bien une activité toxique et l'empoisonner. La toxicité est toujours dépendante de la dose.
Claude Galien, autre grand médecin grec (131-201 après J.-C.), est le premier à s'intéresser à la préparation même des médicaments à base de plantes. Son travail est à l'origine de la pharmacie galénique. La pharmacie galénique consiste à préparer à partir d'une substance, un médicament pour le rendre plus agréable, plus facilement assimilable. La pharmacie galénique a été considérée ces derniers temps comme un aspect traditionnel de la pharmacie mais elle retrouve actuellement une nouvelle jeunesse avec l'apport de nouveaux matériaux. Il s'agit d'améliorer l'efficacité des médicaments en améliorant leur biodisponibilité, leur distribution à travers les tissus, pour cibler les organes touchés. Galien a écrit, d'après ses contemporains, plus de cinq cents ouvrages. Malheureusement nous avons très peu de traces de ces ouvrages car leur quasi-totalité a été détruite lors d'un incendie dans le temple de la paix à Rome où il enseignait en 192 après J.-C.
Avicenne (Ibn Sina, né en Perse en 980, mort en 1037) est connu dans l'histoire du médicament comme le médecin arabe qui a permis de retrouver et transmettre les acquis de la médecine grecque et de la médecine égyptienne aux IX-Xèmes siècles. Le « Canon de la médecine » est son ouvrage le plus connu. Le volume 5 décrit 760 médicaments alors qu'Hippocrate en décrivait 400 et « le papyrus d'Ebers » 870. Traduit en latin entre 1150 et 1187 par Gérard de Crémone, cet ouvrage sera la référence médicale jusqu'au XVIIème siècle.
En Europe, après la perte des savoirs qui fait suite à l'effondrement de l'Empire romain, les connaissances sont retrouvées à travers la médecine arabe.
Les alchimistes transmettaient le savoir de ce qui était déjà les balbutiements de la chimie et de l'utilisation des plantes et des produits chimiques pour guérir. Paracelse, médecin alchimiste suisse (1493-1541) est le premier à introduire les produits chimiques de synthèse dans les traitements médicaux. Il signale les propriétés anesthésiques de « l'eau blanche » (éther éthylique ou diéthyléther) obtenue par action de l'acide sulfurique sur l'éthanol : « L'eau blanche fait tomber les poulets dans un sommeil profond dont ils se réveillent sans en subir aucun dommage. » Après l'utilisation des plantes et la reconnaissance de principes actifs dans les plantes, nous arrivons ainsi peu à peu à la création de nouvelles molécules.

L'histoire des médicaments en France du XVème au XVIIIème siècle voit la mise en place des préparations reproductibles, ce qu'on appellerait maintenant les bonnes pratiques de laboratoire. Dans l'industrie chimique et l'industrie pharmaceutique, tout ce qui touche les médicaments est largement codifié. Les cahiers de laboratoire sont écrits selon certains critères et les archives sont conservées pour l'essentiel du travail entre 15 et 20 ans. Ces bonnes pratiques ne sont pas récentes puisqu'elles remontent à Jean Le Bon. En 1326, il édite « l'Antidotaire de Nicolas » recommandant aux apothicaires de Paris de suivre de bonnes pratiques de laboratoire.
À partir du XVème siècle, les premiers livres de pharmacopée sont publiés en Europe, notamment :
Ricettario Fiorentino (Italie, XVème siècle)
Codex Medicamentarius (fin XVIème siècle)
Pharmacopea Parsisiensis (1638)
Pharmacopée universelle de Nicolas Lémery (1697)
Éléments de Pharmacie et de Chimie d'Antoine Baumé (1762)
La rédaction du Codex Medicamentarius, ordonnée en 1568, a demandé plus de quarante années de rédaction collective et a donné lieu à des versions régionales. Il fait partie des grands ouvrages de la vie intellectuelle de cette époque. Il expliquait comment avoir une préparation de médicaments parfaitement reproductible.
Les codex régionaux étaient largement inspirés des codex parisiens, mais il y avait tout de même des divergences et au moment de la rationalisation de la Révolution Française, les pharmacopées régionales ont été abandonnées au profit d'une référence nationale. La loi du 21 germinal de l'an XI, en 1803, impose un texte unique pour les recettes de pharmacopée classique.
La « Pharmacopée universelle » de Nicolas Lémery (1645-1715) est le premier ouvrage décrivant les interactions entre la chimie raisonnée et le monde du médicament. Nicolas Lémery avait une double formation. Après avoir travaillé comme aide apothicaire, il a fait des études de médecine à l'université de Montpellier, dont on n'oublie pas qu'elle a formé Rabelais. Nicolas Lémery y a occupé la Chaire de chimie avant de revenir à Paris et de donner rue Galande des cours de chimie raisonnée en faisant des expériences publiques. Il fait ainsi sortir la chimie de l'alchimie qui était totalement embourbée dans l'obscurantisme. Suivant la pensée raisonnée de Pascal et de Descartes, la révolution vers le siècle des Lumières est en cours. Pour Nicolas Lémery, la chimie va devenir une science raisonnée comme les mathématiques ou la physique. Pour lui, l'essentiel est la reproductibilité des expériences. « Le Cours de Chymie » publié en 1675 par Nicolas Lémery alors âgé de trente ans, a été l'ouvrage de référence en chimie réédité dix-neuf fois pendant un siècle avant d'être remplacé par les premiers livres de chimie moderne.
La chimie moderne, raisonnée, s'est développée grâce aux travaux de Lavoisier, Berthollet, Fourcroy et Guyton de Morveau. Ce quatuor a véritablement révolutionné la chimie à la fin du XVIIIème siècle. Ils introduisent la nomenclature chimique, c'est-à-dire la possibilité de nommer un composé chimique de manière rationnelle de façon à ce que tout le monde puisse parler du même produit dans tous les pays en se comprenant. Les chimistes disposent alors d'un langage universel et rationnel, totalement débarrassé de la poésie et de l'obscurantisme de l'alchimie. Avant 1789, le CO2 ou dioxyde de carbone avait plus de quarante noms différents dont « l'air fixe » ! " « La Méthode de Nomenclature chimique » (1787) par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy, et « le Traité élémentaire de chimie » (1789) de Lavoisier marquent l'entrée de la chimie dans les sciences exactes. Parlons un peu de la découverte de l'eau de Javel.

À cette époque, le lin devait être blanchi avant la teinture. Cette opération était réalisée en posant les draps dans un pré. Le rayonnement solaire sur la chlorophylle dégageait de l'oxygène singulet qui provoquait le blanchiment du lin. Les lavandières et les paysans se disputaient l'usage des pâturages. Claude Berthollet en cherchant un agent de blanchiment a synthétisé en 1789 : l'hypochlorite. Cette découverte a été publiée dans les « Les Annales de chimie » créées par Fourcroy, Guyton de Morveau et Lavoisier quelques années auparavant. L'hypochlorite NaOCl est obtenu par oxydation de chlorures qui conduit à la formation de chlore, et la solution aqueuse obtenue devient stable en milieu alcalin, initialement de la cendre, source de potasse. La première usine de fabrication de l'hypochlorite se situait à Javelle, petit village de lavandières de l'Ouest parisien, d'où le nom de l'eau de Javel.
L'eau de Javel est un blanchissant mais aussi un agent de désinfection extraordinaire. Elle lutte efficacement contre les bactéries, les agents pathogènes et les virus, qui ne seront identifiés qu'au milieu du siècle suivant avec l'essor de la microbiologie. Elle a permis de nettoyer les hôpitaux, en particulier les sols des zones infectées, et de sauver des millions de vies. Le Dakin, solution d'hypochlorite coloré avec du permanganate, est toujours utilisé comme désinfectant et les dentistes nettoient les racines des dents infectées avec de l'hypochlorite, notamment pour tuer le virus du SIDA. L'agent désinfectant de l'eau de Javel c'est l'acide hypochloreux, celui là même qui est libéré par les enzymes des macrophages humains pour éliminer les pathogènes.

Le début du XIXème siècle, 1800-1850, voit la naissance de la chimie des produits naturels. Le développement de la chimie rationnelle et l'adoption de méthodes expérimentales rigoureuses permettent de caractériser les produits actifs des plantes médicinales.
La morphine est isolée par un jeune pharmacien allemand, Friederich Sertürner, en 1803.

L'acide salicylique ou salicyline est extrait en 1829 de l'écorce de saule (salix en latin) par Pierre-Joseph Leroux. L'utilisation de feuilles de saule était connue pour aider à guérir les fièvres, limiter les maux de tête. Elle était mentionnée dans le papyrus égyptien découvert par Ebers. L'identification du principe actif, sa caractérisation et sa production rationnelle permettent d'avoir une préparation efficace d'un médicament dont l'activité ne dépend pas de la personne qui récolte les feuilles ni de la saison.

En 1853, Charles Gerhardt, brillant chimiste strasbourgeois (1816-1856), réussit la synthèse de l'acide acétylsalicylique et dépose un brevet. En vingt ans, il va aussi introduire en chimie la notion de fonction chimique utilisée pour classer les produits chimiques. Son décès prématuré plonge son travail dans l'oubli pendant de nombreuses années.
En 1897, Félix Hoffmann de la société Bayer reprend les travaux de Gerhardt et réalise la synthèse industrielle. La commercialisation de l'aspirine par Bayer débute en 1899. L'exportation de l'aspirine avant la première guerre mondiale a été le début florissant de cette société allemande. À l'occasion du traité de Versailles le gouvernement français a exigé que le brevet de l'aspirine passe dans le domaine public. Elle a ainsi été fabriquée à Lyon dans les usines du Rhône qui donneront naissance avec les usines Poulenc de Vitry à Rhône-Poulenc, société qui a largement contribué au développement de l'industrie pharmaceutique française au XXème siècle.

Au début du XIXème siècle, les chimistes sont capables d'identifier et de synthétiser des produits à partir de produits naturels. Au milieu du siècle, 1850-1860, l'association de la chimie des colorants à la chimie des produits naturels va conduire à la naissance de l'industrie pharmaceutique moderne.

Les trente dernières années du XIXème siècle vont voir l'épanouissement de la microbiologie qui fera le lien entre les bactéries pathogènes et les infections. Le microscope avec l'observation directe des micro-organismes permet de battre en brèche la théorie de la génération spontanée des microbes. Le développement conjoint de la microbiologie et de la chimie va permettre la création de merveilleux médicaments. La notion d'agent pathogène existait au début du XIXème siècle puisque Larrey, célèbre chirurgien des armées napoléoniennes, évitait les infections lors des amputations sur les champs de bataille en utilisant de l'alcool, du vinaigre, et un peu le fer rouge.

Louis Pasteur (1822-1895) et Robert Koch (1843-1910) sont les deux figures marquantes de la microbiologie en France et en Allemagne. En une trentaine d'année, ils vont permettre l'identification des agents pathogènes, virus ou bactéries, responsables des maladies suivantes : rage, peste, choléra, typhoïde, méningite, diphtérie, tuberculose, syphilis, tétanos, botulisme, lèpre, ...
La connaissance de l'agent pathogène va conduire à la mise en place de règles d'hygiène rationnelles et la mise au point de vaccins, d'antibactériens et d'antiviraux. Le respect des règles d'hygiène pasteurienne dans les salles d'accouchement a permis de diviser par trois à quatre la mortalité infantile.

Les premiers médicaments obtenus par synthèse chimique apparaissent avec l'essor de la chimie industrielle à la fin du XIXème siècle. Paul Erlich comprend qu'il est possible d'associer des petites molécules chimiques pour lutter contre un certain nombre d'agents pathogènes. Il s'intéresse aux dérivés de l'arsenic. Il crée le Salvarsan, le premier médicament qui lutte contre la maladie du sommeil.

Le premier antibactérien date de 1933. Gerhardt Domagk va tester des milliers de molécules de l'IG Farben entre 1927 et 1930 sur des streptocoques. Ce travail le conduit aux sulfamides, dont le dérivé azoïque le Prontosil, et aux acridines. Le premier sulfamide de l'histoire du médicament est une étape essentielle puisqu'il marque la découverte de la notion de métabolite actif et de la mise en évidence de son mécanisme d'action. Il comprend la notion de métabolite actif, le fait, qu'entre le produit qui est absorbé et le produit qui va agir sur sa cible pharmacologique, il y a une transformation par l'organisme. En 1935-1938, les époux Tréfouël de l'Institut Pasteur montrent que l'activité antibactérienne est permise par la coupure de la molécule au niveau d'une double liaison azote-azote qui donne une amine aromatique qui est le produit actif.

Plusieurs questions restaient encore en suspens : pourquoi une molécule a-t-elle une activité pharmacologique ? Quelle est sa cible ? Comment cette molécule interagit-elle avec la cible ? En 1940, Woods de l'université d'Oxford montre que le métabolite du Prontosil est un inhibiteur de la synthèse d'une enzyme, le tétrahydrofolate, qui est impliqué dans les transferts d'enchaînement en C1 dans des étapes de biosynthèse de la bactérie. Cette inhibition chez l'homme est compensée par l'apport d'acide folique par l'alimentation.

Pour développer des médicaments, il faut absolument comprendre comment la molécule ingérée va être transformée et quel est son mécanisme d'action.
La mise sur le marché américain du Prontosil conduit à un drame. La première formulation du médicament aux Etats-Unis va se faire avec de l'éthylène glycol ou antigel comme excipient, conduisant au décès de 76 personnes. Les autorités fédérales américaines réagissent immédiatement en créant la Food and Drug Administration (FDA) qui va édicter des règles strictes sur l'évaluation pré-clinique et clinique des futurs médicaments. Après un certain empirisme des bonnes pratiques sont mises en place et les procédures de fabrication bien plus encadrées au point de vue scientifique.

En 1930, Flemming identifie à partir d'un champignon un produit capable de tuer les bactéries, c'est la pénicilline. Il faudra attendre la deuxième guerre mondiale et l'effort de guerre des américains pour avoir une production industrielle de la pénicilline. Cette production en masse en 1942-1943 a nécessité la mobilisation de plus de mille scientifiques de très haut niveau pour résoudre les problèmes posés par la fermentation, l'extraction et la purification par des méthodes chimiques industrielles à très grande échelle. L'un des précurseurs chimiques de la pénicilline, le précurseur des céphalosporines est produit actuellement à raison de 45 000 tonnes par an dans d'immenses cuves de fermentation d'une dizaine de mètres cubes.

Pendant une centaine d'années, de la fin du XIXème jusqu'aux années 1980, les seuls outils thérapeutiques ont été les vaccins et des petites molécules. Pasteur a préparé son vaccin contre la rage à partir de la moelle épinière de lapins infectés. À sa suite, de grands succès sont obtenus par les vaccins dans la lutte contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la variole, les hépatites A et B, la grippe, ... Les petites molécules utilisées dans les centaines de nouveaux médicaments développés à cette période sont alors des produits naturels, le plus souvent extraits de végétaux, ou bien des produits de synthèse chimique. Les découvertes étaient quasi-routinières au cours du XXème siècle et l'espérance de vie a augmenté.

À partir de 1970, la biologie devient véritablement moléculaire. Des outils créés par les physiciens dans les années 1930-1940, comme la diffraction des rayons X sur nano-cristaux, la résonance magnétique nucléaire, la spectrométrie de masse, sont utilisés par les chimistes pour étudier les petites molécules. Le perfectionnement de l'instrumentation va permettre d'utiliser ces techniques sur les macromolécules. Aux cours des années 1990-95, la facilité de résolution des structures d'enzymes est alors équivalente à celle d'une petite molécule chimique en 1970. Des milliers de structures de protéines ou d'acides nucléiques sont maintenant disponibles. La compréhension du vivant et la compréhension des produits chimiques deviennent équivalentes.

Il y a quarante ans, la découverte de la structure de l'hémoglobine a valu un prix Nobel à Max Perutz, de l'université de Cambridge. La structure de la pénicilline et de la vitamine B12 vaut un autre prix Nobel à Dorothy Hodgkin à Oxford, à peu près à la même époque. Maintenant, la publication de la structure d'une protéine se fait dans des journaux classiques et elle est directement archivée sur des banques de données. Les trente dernières années du XXème siècle ont vu une accélération extraordinaire de la connaissance moléculaire du domaine du vivant.

Les années 1965-1980 ont été celles de la découverte des outils pour étudier les gènes, notamment les enzymes de restrictions qui coupent les gènes et les ligases qui recollent les morceaux. De la compréhension du fonctionnement des gènes aux manipulations génétiques, il n'y a eu qu'un pas rapidement franchi. C'est le monde de la biotechnologie moderne où les choses ne sont plus laissées au hasard et où l'expérimentateur peut intervenir. Le séquençage des génomes, de l'homme comme des agents pathogènes, se systématise. La connaissance du génome des agents pathogènes, virus et bactéries, permet l'amélioration des outils de diagnostic et l'identification de nouvelles cibles thérapeutiques. La compréhension des maladies d'origine génétique ouvre la voie aux corrections des erreurs génétiques par la thérapie génique.
La connaissance du génome ouvre la voie à de nouvelles techniques. La génomique est l'accessibilité de la totalité de l'information génétique d'une espèce vivante. La protéomique est la possibilité d'exprimer toute protéine à partir du génome. La pharmacogénomique est la possibilité d'adapter un traitement thérapeutique selon le profil métabolique de chaque individu. Les connaissances sur la capacité des individus à métaboliser ou à ne pas métaboliser, sur leurs réactions vis-à-vis d'un médicament, permettent d'imaginer dans le futur de pouvoir adapter les posologies en fonction du patrimoine génétique de chacun. Quant à la robotique, elle permet à des mini-robots de paillasse de réaliser des milliers de molécules et d'essais biologiques in vitro. Ils atteignent rapidement leurs limites car ils produisent toujours les mêmes produits en utilisant les mêmes réactions avec une diversité structurale par trop limitée. De plus, les tests in vitro ne prennent pas en compte les problèmes de biodisponibilité, de pénétration et de passage de membrane.

Le rôle du chimiste dans l'innovation thérapeutique en ce début de XXIème siècle va être essentiel car il est formé et entraîné pour comprendre les choses au niveau moléculaire. Il pourra travailler avec des biochimistes, avec des spécialistes de biologie moléculaire, de biologie cellulaire, de toxicologie, de pharmacologie, de médecine clinique. Les raisonnements en termes moléculaires font tomber les barrières de spécialités ( au singulier dans le sens de barrières liées à la spécialité / au pluriel mais alors écrire barrière des spécialités) mais le champ des connaissances nécessaires pour aller d'un domaine à l'autre dépasse souvent les capacités individuelles. Le chimiste moderne doit maîtriser la chimie de base et plusieurs domaines de la biologie. La biochimie est devenue une partie intégrante de la chimie, de même que l'enzymologie moléculaire. Les biologistes et les médecins doivent également avoir des bases élémentaires solides en chimie thérapeutique et en pharmacologie. Il faut des médecins qui restent au pied du malade en ayant cette capacité à discuter avec d'autres médecins qui sont impliqués dans la recherche clinique, à la recherche de médicaments. Les numerus clausus doivent être révisés régulièrement de manière intelligente pour éviter de créer des pénuries de médecins praticiens, s'il s'agit des cliniciens sinon chercher un synonyme à pratiquant qui renvoie à religion voire le supprimer.

Les chimistes créatifs vont continuer à être des acteurs clés dans l'industrie pharmaceutique du futur. Le « rational drug design » est le développement de la création rationnelle de nouveaux pharmacophores. La compréhension au niveau moléculaire du monde du vivant conduit à la création d'objets chimiques parfaitement adaptés à une utilisation en tant qu'outils thérapeutiques.

La chimie des produits naturels va continuer à se développer car la nature est une source d'inspiration de nouvelles structures de haute diversité.
La chimie théorique, avec des ordinateurs de plus en plus puissants et mieux utilisés, va permettre de faire des prédictions de l'interaction de molécules avec des systèmes biologiques et des sites pharmacologiques.

Selon les étapes de la création et de développement d'un médicament, différents métiers interviennent successivement : les chimistes et les biologistes sont les plus impliqués dans les phases de découverte pré-clinique alors que les médecins prennent le relais en phase clinique. Dès les premiers essais cliniques, les statisticiens ont un rôle primordial de prédiction du rapport bénéfice/risque afin d'éviter, par exemple, d'attendre le traitement de dizaines de milliers de personnes pour identifier d'éventuels effets secondaires néfastes.
La diversification des outils dans l'arsenal thérapeutique du XXIème siècle est une combinaison de réalité, d'espoirs et de rêves. Les macromolécules biologiques, traitées comme des objets chimiques, font maintenant partie, et prendront une part de plus en plus importante dans l'arsenal thérapeutique du futur. L'hormone de croissance, l'érythropoïétine capable de stimuler la production de globules rouges, sont produites par génie génétique.

Les thérapies génique et cellulaire sont encore du domaine de l'espoir. La thérapie génique est l'utilisation de gènes ou de molécules capables de modifier l'expression génétique pour traiter des maladies d'origine génétique. La thérapie cellulaire est l'utilisation de cellules souches pour réparer des dégâts au sein de tissus et d'organes.

Pour favoriser l'innovation thérapeutique, il faut favoriser la créativité dans tous les domaines. Il faut, à la fois, des chercheurs de très grande qualité en recherche fondamentale et des chercheurs de très grande qualité en recherche appliquée. La recherche fondamentale est indispensable pour le développement des recherches appliquées, mais, il arrive parfois que des résultats soient appliqués avant la compréhension complète des processus scientifiques sous-jacents. Chaque génération a sa proportion de talent et je souhaite que beaucoup s'intéressent à la fois à la chimie et à la thérapie et contribuent dans le futur à la création de médicaments de plus en plus efficaces et de plus en plus sûrs.

[1] Transcription réalisée par Juliette Roussel
[2] M. Madella et al, J. Archaeolog. Sci. 29, 703-719 (2002)

 

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Le microbiote intestinal à la rescousse des chimiothérapies

 

Le microbiote intestinal à la rescousse des chimiothérapies
Deux espèces bactériennes présentes dans l'intestin boostent l'efficacité des chimiothérapies à base de cyclophosphamide en optimisant l’immunité anti-tumorale induite par ce médicament. C'est ce qu'affirment des chercheurs de l’Inserm, de Gustave Roussy, du CNRS, de l’Institut Pasteur de Lille, et des universités Paris Sud et de Lille dans un article publié le 4 octobre dans la revue Immunity.
Des études récentes ont montré que certains microbes intestinaux favorisent la croissance de tumeurs, tandis que d'autres contribuent à rendre plus efficaces des traitements anti-cancéreux. Il restait à identifier la nature et le mode d’action des espèces bactériennes capables d’optimiser la réponse anti-tumorale induite par la chimiothérapie.
Dans cette nouvelle étude, Mathias Chamaillard1, Laurence Zitvogel2 et leurs collaborateurs, ont montré que deux bactéries intestinales, E. hirae et B. intestinihominis, potentialisent ensemble les effets thérapeutiques anticancéreux du cyclophosphamide, une chimiothérapie utilisée dans le traitement de nombreux cancers.
Comment ? La chimiothérapie entraine des effets secondaires parmi lesquels une plus forte porosité de la barrière intestinale et, par voie de conséquence, le passage des bactéries constitutives du microbiote dans la circulation sanguine. Pour lutter contre ce passage anormal des bactéries dans la circulation, une réponse immunitaire se déclenche. Contre toute attente, cette réponse est bénéfique pour les patients car elle peut entraîner aussi la destruction des cellules tumorales. La tumeur est donc attaquée directement par le traitement de cyclophosphamide et indirectement par cet effet "boostant" des bactéries.
Plusieurs modèles précliniques ont permis aux chercheurs de démontrer que la réponse immunitaire anti-tumorale induite par le cyclophosphamide est optimisée après l’administration par voie orale de E. hirae. Un traitement par voie orale par B. intestinihominis a permis d'obtenir un effet similaire.
Ensuite, les chercheurs ont analysé le profil immunitaire des lymphocytes sanguins de
1 Unité 1019 "Centre d'infection et d'immunité de Lille" (Inserm/CNRS/Université de Lille/Institut Pasteur de Lille)
2 Unité 1015 "Immunologie des tumeurs et immunothérapie" (Inserm/Institut Gustave Roussy/Université Paris-Sud)
38 patients atteints d'un cancer du poumon ou de l'ovaire à un stade avancé et traités par chimio-immunothérapie. Ils ont découvert que la présence de lymphocytes T mémoires spécifiques de E. hirae et B. intestinihominis permet de prédire la période pendant laquelle un patient vit avec un cancer sans qu'il ne s'aggrave, pendant et après un traitement.
« L'efficacité d'un médicament anticancéreux repose sur une interaction complexe entre le microbiome du patient et sa capacité à élaborer une mémoire immunitaire efficace contre certaines bactéries du microbiote intestinal », explique l'un des principaux auteurs de l'étude, Mathias Chamaillard, Directeur de recherche Inserm. « Ces résultats nous permettent d’envisager une meilleure efficacité de ces traitements en optimisant l'utilisation des antibiotiques, mais également par la mise en place d'une supplémentation de certaines bactéries qualifiées d’onco-microbiotiques (ou de leurs principes actifs) capables de renforcer l'efficacité des anticancéreux ».
Les chercheurs ont prévu d'identifier, dans le cadre d'études ultérieures, les parties spécifiques des bactéries responsables du renforcement des effets du cyclophosphamide. « Si nous arrivons à répondre à cette question, nous pourrons peut-être trouver une manière d'améliorer la survie des patients traités par cette chimiothérapie en leur administrant des médicaments dérivés de ces bactéries.», conclut Mathias Chamaillard.
Sources
Enterococcus hirae and Barnesiella intestinihominis Facilitate Cyclophosphamide-Induced Therapeutic Immunomodulatory Effects
Romain Daillère1,2,3, Marie Vétizou1,2,3, Nadine Waldschmitt4, Takahiro Yamazaki1,2, Christophe Isnard5,6, Vichnou Poirier-Colame1,2,3, Connie P. M. Duong1,2,7, Caroline Flament1,2,7, Patricia Lepage8, Maria Paula Roberti1,2,7, Bertrand Routy1,2,3, Nicolas Jacquelot1,2,3, Lionel Apetoh9,10,11, Sonia Becharef1,2,7, Sylvie Rusakiewicz1,2,7, Philippe Langella8, Harry Sokol8,12,13, Guido Kroemer14,15,16,17,18,19, David Enot1,15, Antoine Roux1,2,3,18, Alexander Eggermont1,3, Eric Tartour20,21, Ludger Johannes22,23,24, Paul-Louis Woerther25, Elisabeth Chachaty25, Jean-Charles Soria1,3, Benjamin Besse1,3, Encouse Golden26, Silvia Formenti26, Magdalena Plebanski27, Mutsa Madondo27, Philip Rosenstiel28, Didier Raoult29, Vincent Cattoir*5,6,30, Ivo Gomperts Boneca*31, Mathias Chamaillard*4 and Laurence Zitvogel1,2,3.
1 Institut de Cancérologie Gustave Roussy Cancer Campus (GRCC), 114 rue Edouard Vaillant, Villejuif, 94805, France ;
2 Institut National de la Santé Et de la Recherche Medicale (INSERM), U1015 and CICBT1428, GRCC, Villejuif, 94805, France
3 University of Paris-Saclay, Kremlin Bicêtre, 94270, France ;
4 University of Lille, CNRS, Inserm, CHRU Lille, Institut Pasteur de Lille, U1019-UMR 8204-CIIL, Centre d’Infection et d’Immunite´ de Lille, 59000 Lille, France;
5 Université de Caen Basse-Normandie, EA4655 U2RM (Équipe Antibio-Résistance), Caen, 14033, France ;
6 CHU de Caen, Service de Microbiologie, Caen, 14033, France ;
7 Center of Clinical Investigations in Biotherapies of Cancer (CICBT) 1428, Villejuif, 94805, France ;
8 Micalis Institute, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 78350 Jouy-en-Josas, France ;
9 Lipids, Nutrition, Cancer, INSERM, U866, Dijon, 21078, France ;
10 Department of Medicine, Université de Bourgogne Franche-Comté, Dijon, 21078, France ;
11 Department of Oncology, Centre Georges François Leclerc, Dijon, 21000, France ;
12 AVENIR Team Gut Microbiota and Immunity, ERL, INSERM U 1157/UMR 7203, Faculté de Médecine, Saint-Antoine, Université Pierre et Marie Curie (UPMC), Paris, 75012, France ;
13 Service de Gastroentérologie, Hôpital Saint-Antoine, Assistance Publique—Hôpitaux de Paris (APHP), Paris, 75012, France ;
14 INSERM U848, 94805 Villejuif, France ;
15 Metabolomics Platform, Institut Gustave Roussy, Villejuif, 94805, France ;
16 Equipe 11 labellisée Ligue contre le Cancer, Centre de Recherche des Cordeliers, INSERM U 1138, Paris, 75006, France ;
17 Pôle de Biologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, AP-HP, Paris, 75015, France ;
18 Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, 75006, France ;
19 Karolinska Institute, Department of Women's and Children's Health, Karolinska University Hospital, Stockholm, 17176, Sweden ;
20 INSERM U970, Paris Cardiovascular Research Center, Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, 75015, France ;
21 Service d’immunologie biologique, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris, 75015 France ;
22 INSERM U1143, 75005 Paris, France ;
23 Institut Curie, PSL Research University, Endocytic Trafficking and Therapeutic Delivery group, Paris, 75248, France ;
24 CNRS UMR 3666, Paris, 75005, France ;
25 Service de microbiologie, GRCC, Villejuif, 94805, France ;
26 Department of Radiation Oncology, Weill Cornell Medicine, New York, NY, USA ;
27 Department of Immunology and Pathology, Monash University, Alfred Hospital Precinct, Melbourne, Prahran, Victoria 3181, Australia ;
28 Institute of Clinical Molecular Biology, Christian-Albrechts-University and University Hospital Schleswig-Holstein, Campus Kiel, 24105 Kiel, Germany ;
29 AIX MARSEILLE UNIVERSITE, URMITE (Unité de Recherche sur les Maladies Infectieuses et Tropicales Emergentes), UMR 7278, INSERM 1095, IRD 198, Faculté de Médecine, Marseille 13005, France ;
30 CNR de la Résistance aux Antibiotiques, Laboratoire Associé Entérocoques, Caen, 14033, France ;
31 Institut Pasteur, Unit Biology and Genetics of the bacterial Cell Wall, Paris, 75015, France ;
*All three authors equally contributed to this work.
Immunity http://dx.doi.org/10.1016/j.immuni.2016.09.009
Contact chercheur
Mathias Chamaillard
Directeur de recherche Inserm
Unité 1019 "Centre d'infection et immunité de Lille" (Inserm/CNRS/Université de Lille/Institut Pasteur de Lille)
+33 (0)3 59 31 74 27
mathias.chamaillard@inserm.fr
Laurence Zitvogel
Directrice de l'Unité 1015 "Immunologie des tumeurs et immunothérapie" (Inserm/Institut Gustave Roussy/Université Paris-Sud)
+33 (0)1 42 11 50 41
laurence.zitvogel@igr.fr
Contact presse
Juliette Hardy
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